Charade

Dans le jardin s’épanouit un silence
le silence du soleil et des fleurs à naître
le silence des feuilles et de la lumière qu’elles diffusent

Ce silence est bien différent comparé à celui du chat
qui est comme un langoureux et brillant signal de la nuit en plein jour
il est comme le fin ruban de chocolat
la larme caramélisée qui finalement
enrobe toutes les saveurs dans le léger basculement du sucré à l’à peine salé

Le chat est le ruisseau d’encre qui efface la phrase
le texte
peut-être
car rien ne suppose son existence et les mystères qui la propulsent et l’affirment sont incroyablement bien gardés.  

La pluie

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Bertrand Els©

La pluie est venue peu à peu 

elle descendait des collines

après avoir longtemps séjourné

en silence en mer

elle en avait oublié ses pouvoirs

sa voix cristalline était devenue presque

aussi grave que l’orage

ses gouttes avaient la force toute petite

des griffes du chaton ou de l’oisillon

mais son regard était toujours celui

du grand vautour noir

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Bertrand Els©

la pluie la pluie la pluie petite chose

sincère droite régulièrement secouée et troublée

sorcière aux sorts sertis de larmes elle redonnerait

la parole à l’eau trop calme de l’étang

à la terre qui s’étend jusqu’au delà du désert

Pour la feuille tombée réduite à l’état 

si proche de la poudre

il est trop tard

la pluie ne fait qu’adoucir un peu la mort


Instagram de Bertrand Els

Faire une fleur

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©eeva(@hardcorepunkgf)

Tu aimerais que le monde que tu viens d’appréhender

ne se referme pas comme à chaque fois que tu essayes 

de le toucher

de l’émouvoir

de lui apposer comme un baiser sur le front l’empreinte

d’un mot qui lui corresponde

mais ceux qui te poussent au bout des doigts ne sont pas

de ceux qui prennent la parole 

et puis la donnent et puis la laissent tomber sur le sol

ils ne sont pas de ceux qui se prononcent avec la forme et la force d’une définition

tu n’es même pas certain que c’est toi qui les décides 

 

questions

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source image : ici

Je me demandais livre en main si j’aimerais être comme tous ces précieux galets

polis

mille fois mis en place

mille fois déracinés

jaugés sautillants d’une main avide à une autre

brillants quand je les regarde

pour finalement rejoindre avec une joie de plus en plus affirmée le lit de la rivière qui ne fait que passer au dessus de leur tête

ils dorment et rêvent

je suis presque toujours troublé et les questions sans réponse se succèdent

Lentement

 

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Gary Schneider: ”These photographs, made without a camera, are sweat and heat imprints into film emulsion.” (Source: printeresting-blog, via switchbitch-deactivated20141117)

 

Une hélice végétale imprime
à l’espace en moi sombre
un mouvement de fleur
noire qui s’échappe
une empreinte s’ancre
lentement dans ce monde liquide
sur lequel j’ai tellement peu d’emprise
elle serait comme le moteur principal
d’une idée arrêtée propulsée
vers des taches d’une blancheur
d’écume
Ce qui s’écrit n’est point
un cri de douleur
un champ de mots qui portent malheur
c’est moi hors de ce qui me représente
comme la bogue pleine d’épines
le fruit.

Résonance

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Bertrand Els

Une source
se déverse en flux
veloutés et sombres
comme si elle ne voulait
que se transmettre par
ombres

Une source
donne aux mondes
un parfum d’eau
pluie fine et galets brûlants
mélangent
les mêmes souvenirs
étranges

Une source
animale
serpente enlace
l’encre sert en secret
les sentiments

Une source
lente
s’enracine se délie
longue sentinelle
de signes étincelants
qu’enraye parfois
involontairement
mon esprit qui
tente l’écho
presque muet


Source image

Ville

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Dehors
je ne sais plus si c’est la symphonie de bruits
qui construit peu à peu les lieux
ou si c’est l’espace qui se laisse modeler
afin qu’il révèle ce qu’il contient d’éclats
je m’endors
et sans le vouloir mon esprit s’essaye au jeu
du puzzle géant de l’existence
labyrinthe de miroirs, kaléidoscope de reflets
impalpable et froid lisse comme une plaque d’argent
qu’on a polie
les galeries les veines se reconnaissent aux traces qu’elles ont laissées
ainsi que le font les vers
à la surface du bois qu’ils ont réduit en poudre
Je m’en sors
dehors le jour
me réveille en me demandant ce qui aujourd’hui va
disparaître à jamais.


Source image: Bertrand Vanden Elsacker

Divin

Egyptian - Seated Bastet - Walters 481553 - Left

Par la fente entre le souffle frais de la ville

vivifiante comme l’haleine du souffleur de verre

la matière brûlante de mon existence commence à découvrir ses formes

à décliner ses couleurs dans cette transparence encerclée

par les bruits et les coups de marteau de la vie

soudain j’entends le silence

les pas du félin qui contourne ses proies

parce qu’il n’a pas encore faim

je devine l’élégance de la courbe noire

que dessine son corps quand il marche

il assume avec une souplesse tranquille

son statut de divinité.