Ton pas

Ton pas

Accordé à celui de la forêt 

Ton souffle comme une frondaison froide d’ombres 

Et moi

Qui tente d’inscrire cet instant au patrimoine mondial de ma mémoire 

À chaque fois que je croise l’odeur du pin dans un nid d’aiguilles 

Ses fleurs qui éparpillent pollens et grains de sable saharien 

Regard humide et noir d’un rongeur qui ne peut plus choisir de fuir 

Simplement toi blotti aux pieds d’un immense incendie 

L’ombrageux

Une Graminée

gravit le souffle frais

du vent avant l’orage 

l’ombrageux va agitant l’encolure

et des oliviers le plumage vert argent

à l’appel langoureux 

de la tourterelle éternellement 

seule et assoiffée de ciel 

un soleil solitaire sème 

nuages 

particules safranées

et ce qu’on retient des vagues

quand elles se sont dissipées

et qu’on se dit

ce grain de sable sous le regard

finalement

ce n’est pas si grave

faire trembler le monde

Dans le parc je marche près de toi
je donne désormais la main à un fantôme

plus personne ne voit que tu m’accompagnes

que tu alignes ton ombre à la mienne

que ton pas est dans le mien

que ton regard est au-delà des chemins

dans les feuillages et leurs grands frissons

dans les forêts les sols questionnent ta respiration

ce souffle qu’imitent les sources souterraines

dans les prairies ce sont tes longues hésitations 

et tes soupirs face aux problèmes qui rejoignent

le bourdonnement comme si
ta démarche que la danse déploie

dans ce qu’elle a de plus extrême
était en mesure de faire trembler
le monde

Mécanique paisible du grignotement

charlie mackesy

De sa vie elle ne se souvient que de quelques points
comme les trous d’un gruyère qui sont autant d’espaces
où se lovent les lunes de cette planète étrange et sèche

Peu importe chaque point est en phase avec une sorte de
lumière interne flasque et diffuse jaune et orange
chaque lune s’alourdit un peu plus chaque nuit, chaque fois qu’on évoque son point d’attache

elles sont comme les fruits que l’arbre habille de taffetas vert foncé quand il pleut
elles disparaissent en silence lorsqu’on tente de les mesurer d’en confronter la profondeur, de discuter de leur pertinence ou de la vérité

Entre ces quelques étapes
Entre ces points sur les cartes
Entre ces miettes ces cratères culminent les sommets invisibles, inracontables d’une vie faite d’oublis

Elle raconte que les fleurs s’alourdissent en cette saison de papillons d’un poids insupportable qui ploie les branches et fait basculer les frêles graminées  

la tourterelle pour boire est obligée de marcher sur sa propre ombre trempée qui l’entraine ensuite à voler en soufflant comme un cerf-volant sauvage et incontrôlable

Pour s’agripper à l’existence telle qu’on la leur propose certains astres n’ont pu inventer que les glochides 

De sa vie elle se passe de s’en rappeler comme si cheval elle l’avait complètement broutée du bout des lèvres

Cette mécanique paisible du grignotement de l’espace personne ne s’en soucie vraiment
à ce petit galop s’associent d’autres galops d’autres allures, l’ampleur est variable mais le rythme est identique

Pluie débordante

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Il pleut. Je suis un cheval. Je ne vais pas me mettre à chercher un abri. Il est trop tard et je veux rester là, les sabots plantés dans la terre. La pluie m’apprend à reconnaître mon corps. Trempé, le froid ne réussira pas à m’atteindre tel que je suis au fond de moi. Orgueilleux, têtu, ne voulant rien entendre.

La pluie a fini par se taire, les murs qu’elle dressait entre moi et l’horizon se sont évanouis, les prisons de gouttes se sont dissoutes. Soudain on me caresse entre les naseaux. Je n’avais rien senti venir peut-être étais-je encore en train de dormir. Debout, seul, dans la boue. J’ai voulu réagir en donnant un puissant coup d’épaule, l’oeil mauvais, les oreilles rabattues vers l’arrière en signe de protestation mais la paume était celle d’une enfant qui n’arrivait même pas à me toucher l’encolure. Sa main comme un papillon tentait de se poser pour une caresse. Je n’ai pas voulu la blesser. Je me suis laissé faire sans bouger, elle s’est évaporée comme la brume sur le pré.

Quand ils sont arrivés avec leurs bottes, leurs cris et leurs bâtons, j’ai fait semblant de ne rien voir, de ne rien comprendre. Pourtant, je sais bien qu’ils cherchent à m’épuiser, à me rompre. Un jour, j’ai cru que le cheval abandonné à lui-même sur le bord de la piste avait de l’eau jusqu’aux genoux et buvait puis j’ai compris, ses jambes antérieures étaient brisées. L’animal essayait de se redresser sans succès. Avant de l’abattre, ils ont attendu longtemps non pas parce qu’ils avaient le concernant le moindre espoir. Par cruauté, pour lui donner sa dernière leçon, pour se venger qu’il soit tombé avant la ligne d’arrivée.

Ils étaient deux, l’un s’est approché prêt à me frapper. Je l’ai coincé contre la barrière par un mouvement brutal de tout mon corps et je lui ai envoyé un puissant coup de pied. Le deuxième a cherché à s’interposer mais je lui ai montré les dents comme si soudain je n’étais plus un herbivore et que j’allais le dévorer.

Je ne piétine pas les hommes à terre mais celui qui était là si près de moi était rempli de rage. Je connais trop la rage humaine, il n’y a qu’elle qui puisse vous éperonner jusqu’au sang et vous détruire la bouche en une seule et terrible tentative de vous faire franchir la limite où vous avez placé votre peur et que vous ne pouvez dépasser simplement parce que vous l’ordonne. J’ai donné le coup fatal quand il a voulu se relever et faire usage sur moi de son bâton.

L’enfant pâle qui caressait mes naseaux où est-il? J’avais besoin d’un papillon blanc pour me guider.

Avant la pluie, je suis parti pour ne plus revenir. « Taré, barge, fou furieux, monstre! » Je ne les entends plus crier et me maudire. Plus personne pour me haïr. Mon coeur n’est pas un rocher. Il est une feuille, pas de celles où tu alignes des mots et puis les effaces, pas de celles qu’on froisse dans un poing parce que l’on doute et qu’on nous fait peur. Il est une épine, il est une épeire, il est un grain que soulève ma folie galopante.

Amulette

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Silver amulet of Horse is one of a pair found in a grave 9th Century CE, Birka, sweden

—————  sans être triste

je pleure  — il pleure en moi———————

et se dessine avec toujours plus d’abstraction

ton profil

ton encolure /où pleuvent les crins du soleil

qui auréolait /tous tes galops

—— je comprends qu’il arrivera — un moment

je ne distinguerai plus rien

et que perdu

——— je t’attribuerai toutes mes colères

— les plus absurdes regrets

car j’ai beau faire et refaire ce que je n’ai pas fait

alors

à cet instant

en ce moment précis

où seul   /tu as trouvé la mort

/ malgré  toutes  les ruades

———— je ne reçois jamais de seconde chance

je ne résous rien

je ne calme plus ni ton âme ni la mienne / ni ton pas et le mien

Une chanson traditionnelle

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Robert Budzinski (1874-1955), ’Volkslied’ (Folk Song), “Kunstwart und Kulturwart”, 1919 Source (via issafly)

Le ciel est comme l’envol d’un seul oiseau
la terre un océan de brindilles
à l’horizon un galop de cheval
éparpille les poussières
le cri le crispe
la peur veut prendre le contrôle

une chanson traditionnelle
parle d’une forêt qui mange
et le temps et l’espace qu’elle
accorde à la vie
ta chevelure quand elle s’échappe
devient un nuage
ton œil quand il regarde s’effraye
tout cela habite le cœur
des collines calcinées.

Un cheval

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A Roman bronze horse. Circa 1st-2nd Century A.D.

La lune est un cheval
porté au pas
elle allonge l’ encolure
et laisse ses lèvres effleurer
le ruisseau
l’eau se ride et forme des anneaux
autour des naseaux
la lune respire et broute
les touffes brûlantes de quelques
reflets d’étoiles
à chaque mot correspond l’écho d’une vague
le bruit que fait un sabot quand il égratigne le sable
empreinte de brume
trace que laisse après son passage
la poussière

En Trop

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by Jaime Corum

Quand je ferme les yeux je te vois
m’encercler de tes galops doux
rythmant au travers de tes pas
toutes mes hésitations et les tremblements
incertains de ma voix

Alors je ne ferme plus les yeux et je crois
qu’ainsi je pourrais échapper au passé
celui qui m’avait défait de moi et
t’ avait rendu presque muet

Alors je ne ferme plus les yeux
que pour te regarder
conquis par la liberté d’être
ou de te dissimuler sans accorder
la moindre chance à la violence

Quand je ferme les yeux je me vois
tel que j’aurais dû être au galop
si tu n’avais pas été qu’un rêve
dénoncé comme un maladie
de trop


Source image

La Dame à la Licorne

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