Bombus terrestris

British Museum (Natural History); Smith, Frederick, Public domain, via Wikimedia Commons

Petit pan

De terre et son peuple d’herbes sauvages
parmi lesquelles il faut s’habituer à percevoir

chaque individualité

oublier d’être capable de renoncer à apprivoiser
l’innommable
ne plus multiplier les négations pour simplement
dire oui

petit pan tremble et vibre 

Se déleste de la gravité

apparait disparait  

et puis

prend appuis sur le vide palpable de la lumière
celle qui se cache sous le nom de poussières 

les ailes hèlent les fleurs 

ces halos d’aube ces astres

accessibles de l’infini 

Quelque part l’eau coule de source

Bernie, coloration by Goodshort / CC0 Détail de la tête de la couleuvre à collier Natrix natrix avec, en couleur, l’écaille temporale (en rouge), les écailles post-oculaires (en vert) et l’écaille préoculaire (en bleu).

L’oiseau dresse le portrait-robot du félin qui passe près du pin
suspendue à l’arbre la pomme ouvre et puis referme soudain des ailes
en mer les baleines tueuses entourent le nouveau-né du troupeau
à moins que ce ne soient que remous autour d’un rocher
pour se distinguer les fleurs ternes trouent les ondes claires
parmi les feuilles chaudes du figuier glisse l’infinie couleuvre à collier
quelque part l’eau coule de source

La promenade

Kom Ombo temple, Egypt

J’entends les feuilles pétiller dans l’immensité bleue et ouverte de l’après-midi malgré le lourd silence imposé à tous par la sieste. Je traverse avec l’habilité d’un chat la vaste et sombre forêt de ronflements et me retrouve libre, pieds nus sur le chemin jonché de joncs et de roseaux, plein de fraîcheur qui me guide jusqu’à la mer. Elle est seule et tranquille et ne semble jamais s’ennuyer, la mer. Elle me chatouille les pieds et puis me mange jusqu’à la taille en me disant : «  allons plonge ! Donne-moi tes mains, ton front, tes épaules ! ».

Je plonge et je deviens un mammifère marin oscillant entre le chien de mer et le dauphin, entre le loup et le félin. Je joue à rejoindre les fonds veloutés, je nage sous l’œil tendre et curieux d’un poisson ou deux. Les ondes fraîches et tièdement délicieuses me font prendre conscience de mon corps, je me sens libre. J’acquiers la force et l’assurance de nager loin. Là où l’eau devient bleu foncé. Je me dis que les cheveux des sirènes ne peuvent être que de ce bleu soyeux sombre et insaisissable.

Petit à petit, j’entends au loin la plage se peupler de cris, s’enduire de crème solaire, la voilà envahie. Je n’ai aucune envie de rencontrer ces humains, ni de me faire gronder alors je gagne les rochers. Les remous ont peint à la manière des sauvages, des jardins minuscules où le ciel est une vague. Fleurs aux formes étranges, prés veloutés, vallées moussues. Je suis persuadé que c’est ici que les vagues songent le plus et qu’elles sont amoureuses des rochers.

Je grimpe sur le dos de l’un d’entre-eux, celui qui me semble être le plus doux . Mais les rochers me mordent la plante des pieds. Le sel sèche sur ma peau, mes cheveux courts sont rêches.

Finalement après bien des détours, je retrouve la maison. Elle est vide comme un navire abandonné, parcourue par les courants d’air légers et l’obscurité. Les persiennes sont fermées. Je m’assieds à la table en me demandant ce que je pourrais manger mais une main se pose sur ma tête. « Ah, c’est là que tu es ! Je croyais que tu avais oublié notre promenade ».

La promenade consiste à ne pas toujours aller très loin, parfois le bout du jardin, la place du village car bien souvent la beauté nous retient, elle nous cloue sur place. Elle est là mystérieuse et proche. Palpable et évidente. L’onde d’une colline, la corolle d’une fleur, le chant d’un insecte, un débordement de senteurs. Je ne lui trouve que seulement des « oh ! » que souligne tendrement, en souriant silencieusement la main si douce de papa.

Le bouquet

Boom in bloei

Frits Van den Berghe , 20ste eeuw, Koninklijk Museum voor Schone Kunsten Antwerpen

Lorsque la mer porte sur le dos de ses collines un ciel blanc et que le vent s’y mélange gavé de pollen, c’est le printemps. Il prend tout l’espace, le printemps, comme une seule et géante enflure. Sur ce petit bout noir qui nous sert de pays, les arbres sont des épouvantails. Leurs fleurs ont des odeurs de kermesses et de ces danses macabres qu’on s’invente à la place des fêtes.

Ici, l’horizon est érodé comme le désespoir. Englouti par le dégoût que l’on peut avoir de soi lorsqu’on se croit coupable. Les montagnes sont des mirages et les enfants portent déjà la grimace du masque de l’adulte qu’ils seront. Les rêves sont des fantômes tétanisés condamnés à se laisser dissoudre par les pluies lourdes et noires de l’hypocrisie permanente. Les langues ne se dénouent que dans les cimetières, le reste du temps elles se taisent écrasées par les rumeurs qui épouvantent les cœurs d’un village à l’autre.

À part des racines comme des doigts de sorcières, il n’y a rien pour retenir l’homme, pas un seul torrent fougueux, pas un seul mur si ce n’est celui de l’autre ferme. Si ce n’est celui du chemin qui serpente sans fin en cherchant un soleil. L’homme n’a que lui-même pour se perdre et le doigt de dieu pour le rendre fou et le broyer. Dieu est dans toutes les idées, dans toutes les larmes des femmes, dans toutes les mains qui se lèvent ou s’arrachent les cheveux. À la fin du printemps, à la place des fleurs dans les arbres, les cauchemars de suicidé explosent en formant des bouquets. Son amour à l’affût du péché a porté ses fruits.

Marcher pendant des jours

j’ai marché pendant si longtemps le ventre vide, l’espoir avide de nouveaux espoirs que j’ai oublié ce que c’est que d’arriver enfin. Mon esprit ne veut pas s’assoir. Il veut aller là ou il peut et ne pleut pas. Marcher sur les cheveux du jour, flotter sur le parfum des fleurs. Il reste cet éternel insatisfait.

Pourtant, je connais la plénitude. Je sais quel visage a la lune lorsqu’elle se regarde dans les miroirs des lacs. Je reconnais les yeux fermé le chant du soleil sur les blés. Je goute une à une toutes les larmes de la pluie. Hiver comme été, j’aime marcher. Comment et pourquoi faudrait-il rester sur place, alors que toute la vie n’est que bouleversements.

La neige court dans les sous-bois, rampe dans les prairies et s’évanouit dans les champs qui somnolent accrochés à l’horizon. Elle ne tombe pas du ciel, cette fois. Elle se dépose furtivement. Elle s’appose sur mes épaules, sur mes cheveux. Elle crépite comme un incendie et donne au jour qui voudrait partir, un second élan de jeunesse. Tout est silencieusement blanc. Le monde se retient de respirer. Les gens ne pensent pas mais ont froid.

Je marche avec dans la tête, des mots qui dansent et simulent la tempête. « Dans toute Beauté, il y a de la mélancolie » m’a-t-il dit. Je ne puis m’empêcher d’y penser. La mélancolie m’enserre si souvent et si durement dans son étau que j’ai peine, dans ces moments, à lui trouver de la beauté. Même quelconque. Pourtant, je me dis qu’il voit juste. La Beauté est faite de nuances. D’infimes petites parties, à peine visibles à notre œil nu, forment son évidence. C’est ce qui fait que parfois, on ne sait pas de quoi elle est faite et pourquoi, elle est là. On n’a pas envie de la contester.

Dans l’œil de mon cheval, la beauté s’habille d’une douce mélancolie. La mélancolie du chocolat. Le chocolat est terriblement mélancolique. Lorsqu’il se laisse fondre dans la bouche en oubliant son amertume de cacao, le chocolat m’abandonne sa liberté. Cela le rend mélancolique.

Perdre sa liberté, ne plus savoir où mettre ses pas. Perdre sa liberté parce qu’on la donne à l’amour. Oui, cela peut rendre mélancolique, mais c’est beau, n’est-ce pas?