Prodigue toujours ta beauté sans compter ni parler. Tu te tais. Elle dit à ta place: je suis, puis en multiples sens retombe, tombe enfin sur chacun. Rainer Maria Rilke
Lorsque les émotions m’envahissent, j’entre dans un monde où le ciel est plusieurs, où la terre ne dessine plus une ligne à l’horizon mais déploie une chevelure qui se noue et se dénoue continuellement.
Mon existence alors ne se balance plus entre le oui ou le non mais s’entraîne à faire face à une infinité d’espaces où les possibles sont la raison. Un cordon ombilical me lie aux étoiles et je marche comme une onde sur des tapis volants. Le temps semble s’être fait sable et plus rien n’a de sens.
Dans ces moments, il m’est difficile de reconnaître l’autre et les limites qu’il impose à sa réalité bicéphale. D’entendre son langage, de comprendre les doubles sens. Et je sens combien c’est difficile pour certains d’admettre que le monde qui me submerge n’a pas que trois dimensions mais que sa réalité en possède plus que nous ne pouvons l’imaginer.
Ce ne sont pas des états qui me font perdre la conscience mais qui au contraire me confrontent à une réalité qu’on ne peut que rêver. Que se résoudre à la nier, c’est comme se crever les yeux, s’amputer de facultés qui nous sont nécessaires pour progresser.
Mes mots, mes tentatives d’encercler la poésie comme si j’avais à la dessiner comme une galaxie ne représentent rien. Rien qu’une particule d’un néant en train de se perdre en voyageant dans ce que j’en ressens.
Dans le pli d’un tissu, je reconnais le geste ondoyant et ample de tes idées comme des caresses pour la pensée. Dans les musiques qui charment les heures de mes journées les plus froides, j’entends encore faiblement ta voix, tes rires, petites graines de sable. Tu me manques tellement de fois. Pour goûter la chaleur d’un café, pour pouvoir marcher dans la rue et affronter ces troupeaux de bruits et les horreurs. Tu as oublié de me dire comment gravir les rochers et franchir les fossés.
Le jour, je sens la lune docile nager dans la nuée comme si elle était ton âme, petit poisson perdu dans l’éternité me suivant de loin. Je te sens comme les nénuphars surgissant de la nuit, trouant l’obscurité du lac qui les retient, je te sais narguant la mort en lui montrant le sourire de quelques pétales et ton cœur jaune ensoleillé.
Certaines nuits, tu réapparais dans les plis discrets d’une bouche endormie. Il n’en reste parfois plus qu’un cil. Ta luminosité est dorée et pleine, comme si tu avais mangé le soleil pour en faire cette crème qui calme mes plaies.
Je collectionne toutes tes apparitions dans tous les sourires enfantés par la lumière. Je n’ai jamais cessé d’aimer, de m’accrocher fébrilement à la moindre miette de beauté, à son ombre. Je refuse de croire en la laideur et de lui succomber en implorant le néant. Je vais partout suivant tes aurores, auréolant, me gorgeant de toutes les luminescences et de tes respirations. J’ai confié mes élans à tes rivages, à la lune rousse et adorable. Je la porte comme une couronne sur la tête, elle m’emporte comme une montgolfière là où les dragons zélés de la cruauté et du manque sont terrassés en une seule phrase.