Traitement

 

Chacune de mes lignes devrait vous délivrer l’un de mes traits mais cela n’est pas vrai.

La ressemblance n’est qu’une apparence. Une partie, le tiers pour être précise dessine un pan de la réalité. Le reste est constitué de bribes inventées. Le tout est mouliné finement jusqu’à obtenir quelques choses impalpables : des phrases.

Allez donc savoir où j’ai pêché l’idée, son spectre, son ombre, son détour.

Chacun de mes traits devrait vous servir à dessiner mon portrait.  Et si je n’existais pas ?

Qui donc porterait mon image ?

Lequel de nous deux est en train de fabuler, de transformer la réalité ?

Je ne suis textuellement pas présente ici. Ni là, ni ailleurs, ni nulle part.

Mais elle et nous, sont-ils traités correctement ?

Le rocher


Koon Wai Bong(管偉邦 Chinese)
Mountains after rain

 

L’herbe ronge le sentier

et le sentier mène à la mer

la mer ronge le ciel

et le ciel se balance dans les arbres

comme les vagues entre les doigts du sable

les arbres s’écartent pour laisser passer

le sentier qui serpente comme une rivière

au lieu d’aller vite

se jeter aux pieds du rocher

qui ronge de son ombre la nuit

Petit chat

Source: frydogdesign.blogspot.com via machinn on Pinterest

Son corps a échoué sur le canapé. Il est comme les cadavres flasques des méduses échouées sur les plages par les marées. Ma mère pue et me répugne. Même lorsqu’elle n’est pas ivre, je me méfie de ses tentacules urticants. Ses maigres élans d’affections sont comme des typhons, ils vous attirent vers le fond, vous blessent et vous perdent au lieu de vous réconforter ou vous construire. Il faudrait que je sois comme elle, évaporée avec les vapeurs d’alcool, blasée, suspicieuse. Je préfère être dissipée et le plus loin d’elle.

Pour l’instant, je survis parmi elle et ses bouteilles et ses rages. Pour ne pas céder à son congénital ennui, à ses malaises, à ses turpitudes, je me suis inventée une autre mère. Une mère qui n’aurait pas ce cœur pourri, cette cervelle ravagée, cette parole méchante. Je me suis inventée une sainte qui toujours me regarde, qui m’écoute quand je lui parle. Elle signe en se servant de ma plus belle écriture mes bulletins scolaires et mon journal de classe. Son ombre douce et chaude m’entoure et m’encourage. Lorsque je suis à ma table de travail et que je fais mes devoirs, apprends mes leçons, elle se tait et reste sage. Elle se réfugie parfois dans le regard de mon chat quand il m’attend allongé au soleil, sur le trottoir en face de la maison. Il est toujours rigolo mon chat et ne se demande pas pourquoi parfois je pleure si fort que rien ne peut m’arrêter.