Doucement

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Tu vas par quelque avenue de la ville

tu vas un piano dans la cage thoracique

tu as le sentiment que c’est lui qui t‘emporte et te guide

lui qui pleure toutes les notes limpides des cascades

tu n’as plus le pouvoir de masquer ce qui ne va pas

le piano a décidé de vivre au jour claudiquant tel le fractionnement de la pluie

mélangeant folie de l’écoulement et mélancolie de l’empêchement

attente et impatience 

tu vas sans que ton coeur ne s’effondre sans plus te dissoudre totalement 

au milieu de toi-même l’impossible décision disloque le désespoir

tu vas la forêt dans l’âme 

l’humus coule de la source vers l’éternité 

Voies

Cette étoffe lente
de velours noir c’est la rivière qui erre dans les bras de la forêt

L’eau sans remous semble s’alourdir en plein d’endroits

les poissons engourdis se laissent caresser par la vase froide

une voix lance un appel à la solitude et elle lui répond comme le font les cascades
les gorges sont pleines de noms élargissant les possibles

une famille de chants réchauffe la brume lui dénoue la chevelure
renoue des amitiés fortifie les sensations

au-dessus de la rivière infranchissable la meute vient de construire un passage
chaque membre de la troupe l’emprunte en suivant les pas de
la louve alfa

Milvus milvus

oeufs de Milvus milvus – Muséum de Toulouse

Dans le ciel, juste le souffle bleu des vagues et royalement, le milan. De ses plus belles plumes, il inscrit une ombre. Entre elle et lui, le fil d’une toile d’araignée. Se suspendent alors qu’il accorde ses phrases, les battements d’ailes du papillon jaune, les battements de coeur du batracien, du rongeur, de la couleuvre à collier.

Quand l’ombre est enfin ajustée, le monde se suspend. On l’oublie pour remarquer que derrière la colline un troupeau de nuages broute et puis sans doute s’endormira sur le versant sombre de la montagne. Leurs rêves ne se dissiperont pas avant ce soir.

Plusieurs fois le regard du milan croise celui du petit cadavre. Il y aurait comme une passation de pouvoirs. Aurait-on cessé les combats? L’arbre grince, un oiseau signe le contrat en se faisant passer pour un cobra. Le papillon reprend sa promenade de pétales, les reptiles regagnent les plis ensoleillés du muret. Sur les branches des haies parfois se croisent les doux regards noirs de quelques rongeurs si petits. 

La feuille fera semblant d’avoir tout oublié, il faut que tout recommence, même la brièveté.

De la mer

Gerhard Richter, oil on canvas, 1969.

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De la mer, il ne reste plus que le ciel, son reflet à peine bleuté.

Á la place des vagues, quelques nuages ondulent faiblement.

Là, comme déposés par un pinceau papillonnant, les quelques 

traits noirs d’une barque. Elle porte au milieu de nulle part  le 

corps vouté d’un personnage. On ne le reconnaît pas.

Le paysage implore un questionnement, s’oppose à ce qu’il

est habituellement, fluide. Muette est la réponse, elle se fige

à peine. La lumière circule toujours librement, déplace les graines

des secondes sans qu’on s’en aperçoive, sans qu’on dispose du

langage pour l’exprimer. Dire c’est dilapider.

Dans le paysage se figent les figuiers, ils ont déjà perdu toutes leurs

feuilles, la rosée et la brume. Le parfum de la terre humide. Les bordures 

de l’aiguille rognent les quelques traces d’obscurité. Se pointe et se résume la virgule au cri de l’oiseau comme 

si quelque chose d’amer restait coincé dans ma gorge et finissait par

germer à l’abris de la lumière. Dépourvues de chlorophylle, de sa parole de

verts flamboyants et croquant la vie, l’aubépine, la bougainvillé ou l’acanthe 

s’éteignent irrémédiablement. Aucun geste même doux et docile, même aimant, même innovant ne rend vraiment la vie aux temps passés qui cogitent encore

dans l’esprit et ne finissent d’habiter mon âme à la manière des roches

des perles et de toutes nos parcelles d’éternités.

Cyclone

@hardcorepunkbf

 

Un fantôme s’est incrusté sur la pierre tombale, un fantôme minuscule circule sur le socle massif d’un monument. Un nuage tourbillonne, annonce une vague de froid, dénonce la visite possible d’une tempête plus effroyable.

Existe-t-il quelque chose de plus glaçant que l’ignorance, l’oubli et toutes les dispositions prises afin que ta solitude jamais ne puisse occuper la place qui lui revient? La place de ton ombre, la place de l’indécision. La place d’un contour et de toutes ces phrases éructées par une feuille morte.

S’installent de rangées en rangées, les corps bien définis de théories absurdes qui toutes ont pour but de contourner les questions, de les embobiner, de les momifier.

Que les âmes s’envolent, il n’en a jamais été question. Même la mort est une définition rancie. Que ce fantôme est las! Qu’il est laid!

Sa couverture est pourtant taillée dans la même étoffe laiteuse que celle qui sert aux nuages quand ils voyagent. Pas un linceul, seul un voile d’araignée qui s’envole. Un fil qui survole les fleuves, les traverse, les croises entre eux.

Un fantôme a bu à toutes les fontaines qui gloussent, un fantôme s’est fait manger mille fois par la mouette rieuse qui brode l’écume. Un fantôme fiente du temps. Perdu. Deviendrait-il un cyclone si quelqu’un touillait dans son coeur comme dans une soupe? Si quelqu’un rentrait dans son corps à l’haleine de dragon. Si quelqu’un se servait de son oeil de cyclope pour scruter les alentours?

Octopodes

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Je me suis réveillée avec dans la tête
une pieuvre
ses bras enlaçaient mon coeur comme un morceau de néant
tombaient jusqu’à mon ventre et puis mes jambes
j’ai déjà vu choir de manière similaire
les lierres des arbres
La pieuvre avait la souplesse d’une angoisse
vague sauvage et inutile
si ce n’est à nommer mon désordre
la pieuvre élastique comme une partie du temps
la pieuvre susceptible
est partie en crachant de l’encre

Un miracle

tumblr_o7r7f6566Z1v6jft8o1_1280À force de t’attendre assis sur le banc près de l’entrée du jardin, je me suis transformé en mousse, en lichen. Je coule le long des barreaux des grilles, je suis dans toutes les fissures, à l’ombre, aux pieds des statues, sur les branches. Mes verts occupent les faces nord des écorces. Quand il pleut, les troncs sont semblables aux torses des grands chevaux bais qui tirent les chars antiques.
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J’ai parcouru toutes les allées, ramassé autant de cailloux que de larmes j’ai versées. J’ai marché scrutant le ciel, déliant les langues des nuages afin qu’ils m’avouent l’heure de ta venue. Aucun ne m’a livré le secret.

Tous  célébraient la danse du silence et me laissaient découvrir de lentes formes animales: la gueule béante d’un félin, la dent d’un requin, la pince d’un crabe géant. Ainsi se sont fossilisées les heures.
Comme un archéologue, dans les strates de brumes, dans les amas nuageux, j’ai cherché une explication à mon obstination ou à celle des autres .

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J’ai vu plusieurs fois le givre manger les pensées, j’ai remarqué qu’elles étaient toujours plus nombreuses à résister, à opposer leurs faiblesses à la rigueur, à refleurir l’année suivante avec la même insolence.
J’ai écouté crisser les griffes de la chaleur, sa brûlante désespérance empêchait tout mouvement.
J’ai entendu le jour se laisser tomber sur la terre dès que la grande porte grillagée se refermait sur le jardin. J’ai compris qu’avec l’aube, surgissait la surprise du printemps quel que soit le moment de l’année.Ta chanson ne pouvait plus qu’arriver.
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Aujourd’hui, tu es entré dans le jardin enrobé de lumière, portant à tes lèvres un magique instrument capable de transformer ta voie la plus intense, la plus sombre et profonde en un rire somptueux. Un rire gorgé de joie, un rire en soie, un rire mélancolique, un rire en mesure d’ englober le monde.
Tu as surgi dans chaque note. Tel un oiseau-jardinier, tu es passé de branche en branche, tu as tissé une tonnelle de brindilles pour le silence et rassemblé tout autour juste assez de notes bleues, de notes parfumées. Limpide, audacieux, fugace, furieusement amoureux.

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Tu ne t’es même pas assis sur le banc que j’avais occupé pendant des éternités, tu n’as même pas regardé mes nuances veloutées aux pieds des arbres, aux bordures des mondes.
J’ai alors compris que ce n’était ni le temps, ni l’espace qui empêchaient notre rencontre car nous occupions bien tous les deux le même univers. Franchir des frontières, c’est pourtant ce que font les chants des oiseaux aux printemps.
Ce qui nous sépare à jamais l’un de l’autre est un mot. Un mot muet, momifié. Un mot qui tremble comme les mirages. Un mot qui enveloppe l’autre d’une membrane brillante qu’on ne peut transgresser. Un mot mort.

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Ce mot tentaculaire a pris le temps de germer dans mon esprit à mon insu. Sans que je puisse désormais le déraciner, il m’est devenu impossible de le prononcer.


photographies de Bertrand VD. Elsacker

Drageons

© Bertrand Vanden Elsacker Disoriented diary

Les flocons de moi-même s’éparpillent

comme des graines portées par de fines embarcations en fils de soie

comme ces étoiles que guident les toiles d’une araignée de poussières

à des années-lumière de l’endroit où on la voit

un cheveu effleure ta joue et tu crois qu’il s’agit d’une larme

·

des fragments de moi prennent d’inutiles racines parmi les cailloux

leurs chemins ne pourront que s’arrêter

au milieu d’une solitude aussi aride que l’unique rocher

qui tourmente le bras de la rivière descendue de l’Éther jusqu’à la mer

·

un épanchement progresse à la manière secrète et singulière

du bourgeon qui sait n’avoir d’ailes

et se rêve pourtant projeté au delà des frontières du royaume

qui l’étreint avec la force du feu

·

une miette un éclat emprunte une voix

à ton souffle

à ta plainte éteinte au fond de toi

s’éreinte sans réussir

à la faire dévier

de la vie et de ses trop imposants piliers

·

la seule étincelle de mon étamine tamise la lumière

à la recherche de ce brin de toi-même qui serait encore libre

de vivre

à la folie

toutes les paroles échappées de toi grâce à ces poèmes

dont tu dis qu’ils ne valent pas la peine que quelqu’un les lise ou les aime