Prodigue toujours ta beauté sans compter ni parler. Tu te tais. Elle dit à ta place: je suis, puis en multiples sens retombe, tombe enfin sur chacun. Rainer Maria Rilke
Tu vas de ton trottinement partout où ton instinct te guide tu n’as peur de rien pourtant ton regard ne cesse de questionner le chemin parcouru tu as à trouver une entrée là où c’est clôturé là où les forêts brûlent là où les lacs se figent de froid là où tu seras seul tu n’as aucune empreinte où mettre tes pas tu vas frôlant les enfers dénigré parce que ton oeil est clair personne n’ose plus entreprendre de tels rêves un voyage sans éclat sans destination définie si ce n’est celle dont on ne parle jamais
C’est encore l’hiver pourtant quand elle ouvre la fenêtre
c’est le printemps qui entre grains de mimosa dans la chevelure une parure de pétales de giroflée posée sur les épaules
il illumine de son regard chacun des livres anciens de la bibliothèque
il en réveille quelques uns d’autres roussissent jusqu’à se faner et périr d’illisibilité
il s’assied dans le fauteuil du père défunt
chaque feuillet posé sur le bureau espère encore la signature du maître mais
la porte claque lorsqu’elle referme avec brutalité la fenêtre
elle attend de voir comment le printemps prisonnier va s’y prendre pour s’échapper
fuir elle en rêve depuis tellement d’années aller librement sans la moindre arrière pensée
aller là où le regard lourd du vieux ne va pas poser de nouveaux problèmes être hors de porté du geste grossier qui la condamne à chaque fois
le plancher grince dans le couloir quelqu’un crie de hisser la voile la demeure familiale devient enfin une caravelle ne manque plus que la houle folle et l’ivresse
un fantôme tient déjà le gouvernail est à la barre usurpe le pouvoir
le printemps son printemps à elle les voilà dans la cale
Elle ouvre la fenêtre c’est l’hiver pourtant elle décide de jeter l’ancre là dans le jardin près de l’acacia en train de fabriquer des milliers de soleils pour d’autres univers.
La mer élabore une sorte de course contre elle-même courants gris courants bleus et entre eux des îlots d’eau souple presque noire la rose ouvre l’espace du jardin à la blancheur des nuées le long de la hampe un fourmillement d’épines pourpres qui donc aurait besoin d’hellébore en cette fin de jour
S’échappe un ruissellement de source vers la mer par les airs dans l’olivier les ondes lumineuses se bousculent ballets de bulles et danses d’alevins c’est la fin faufile une feuille rousse de la vigne alors que le sifflement du milan plane et dénoue les nuages
la lumière est presque toujours sur le point de perdre l’équilibre au bord du gouffre la solitude des pattes de mouche pour écrire et rendre lisible ce qui ne l’est pas
Sur le chemin qui longe la mer, une stèle. Un monolithe contemple la mer et je me demande ce que cette roche ocre imposante peut bien faire là, seule barrant le passage aux autres éventuels promeneurs. En cette saison, ils sont encore moins nombreux à passer par là à cause du vent, à cause de l’haleine sauvage de la mer. Tous les végétaux ont été sculptés par les embruns. On sait que parfois une vague avale un peu de terre du sentier et le fait disparaître.
La stèle soudain se met en marche. Elle se déplace lentement mais avec assurance. Finalement, je vois le marcheur qui se laisse glisser prudemment le long d’une paroi rocheuse pour atteindre une minuscule plage où sable blanc et rochers roux affleurent les vagues qui gloussent à la manière des sources en cet endroit protégé et presque secret. La paroi rocheuse vue de la plage ressemble à la figure en colère d’un hominidé géant. Les yeux globuleux, l’arrête du nez, les trous des narines et surtout la bouche rugissante expriment une terreur peu commune, soudaine. Le marcheur cherche à s’abriter. Il a vu que le ciel au large avait sombré en mer.
Assis sur l’un des rochers qui figurent la mâchoire béante de l’hominidé effrayé, le promeneur regarde à nouveau la mer. Il se sent observé. Non loin, sur un minuscule récif, ailes ouvertes pour les sécher, un cormoran s’interroge sur la présence de ce mammifère. Dans l’eau translucide quelque chose semble broder le pourtour de quelques vagues d’un geste souple et régulier. C’est un autre cormoran. Il pêche. Il remonte à la surface, respire et disparaît. Il est difficile de prévoir où l’oiseau réapparaitra. Le promeneur le perd de vue et lorsqu’il se retourne pour regarder à nouveau l’autre oiseau qui réchauffait ses ailes. Il n’y a plus personne, plus rien. Tout cela était un rêve.
L’homme décide d’aller voir de plus près s’il ne repère pas à nouveau les deux êtres magiques. Il a de l’eau jusqu’à la taille lorsqu’il on ne sait pourquoi, se laisse entrainer par une vague. Il disparaît, il se dissout en même temps qu’une autre vague merveilleuse. Il pense qu’il se retrouve et redevient enfin celui qu’il était vraiment.
Un courant plus froid et plus foncé forme pendant de longues et précieuses secondes, le dessin étrange dont les contours vus du ciel quand on a pris un peu de hauteur représente un oiseau majestueux déployant les ailes pour l’envol. Un animal mystérieux comme on en rencontre à Nazca.