Qui vit au large

“Volume Project…” by Kincső Tóth- source de l’image: **

Il pose ses doigts sur mon poignet

pour prendre le pouls
mais rien

peut-être n’ai-je plus de coeur

fondu comme un sucre dans la boisson chaude des larmes

mais non

il est là cet organe incontrôlable

à  débattre seul en sourdine 

dans le néant abyssale du corps

Inanité

Une fleur soupire

le papillon s’évapore

de l’arbre s’égoutte un oiseau

une feuille s’extirpe d’un essaim

et le choeur se soulève comme la vague
s’éternise dans le crescendo des voix
cherche l’exclamation jusqu’à ce point de non retour 

le poirier ploie

le sentier s’en va

et toi tu te retournes

pour me voir

poser ton regard sur ce départ de colline

rougeoyante tel un incendie

Ton pas

Ton pas

Accordé à celui de la forêt 

Ton souffle comme une frondaison froide d’ombres 

Et moi

Qui tente d’inscrire cet instant au patrimoine mondial de ma mémoire 

À chaque fois que je croise l’odeur du pin dans un nid d’aiguilles 

Ses fleurs qui éparpillent pollens et grains de sable saharien 

Regard humide et noir d’un rongeur qui ne peut plus choisir de fuir 

Simplement toi blotti aux pieds d’un immense incendie 

Pensées, soucis et compagnie

La solitude elle lui a été imposée

mais il n’a pas chassé de son jardin intérieur
cette adventice
elle a fleuri parmi tant d’autres 

qu’on ne rencontre qu’en cet endroit
des racines ont dessiné des labyrinthes
conquis des obscurités

sur lesquelles il appuie

désormais chacun de ses regards

le doute accompagne la question

et la réponse

au milieu de la foule
il est seul

toujours seuls lui et son âme

quelqu’un lui dicte chacun des mots

qu’il retranscrit pas à pas

sous le prétexte qu’ils le font avancer
mais il ne sait
pas où cela le mène


il va sans le vouloir au bord des
falaises
voir s’il n’est pas là-bas
tout en bas

parmi les vers

serin cini

Ghislain38, CC BY-SA 3.0 https://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0, via Wikimedia Commons

Aux points cardinaux du livre qui s’écrit de temps en temps
quelque chose de ta personne
infime
s’arrime 

un cri d’urgence
à chaque pli du jour cette goutte
de ta sueur

imprègne le chant que tu répliques
à l’infini

l’alerte sereine face aux rires jaunes des seigneurs


le soleil s’écarte de leur route
tandis que tu picores l’azur depuis


la galaxie où s’illuminent les planètes olives encore à l’état de fleurs 

Parfois simplement tu disparais


Serin Cini

À un loup

Tu vas de ton trottinement partout où ton instinct te guide
tu n’as
peur de rien
pourtant
ton regard ne cesse de questionner le chemin parcouru
tu as à
trouver une entrée là où c’est clôturé là où les forêts brûlent là où les lacs se figent de froid là où tu seras seul
tu n’as aucune empreinte où mettre tes pas
tu vas frôlant les enfers
dénigré parce que ton oeil est clair
personne n’ose plus entreprendre de tels rêves
un voyage sans éclat sans destination définie si ce n’est celle dont on ne parle jamais

Effroi

©Gerhard Richter Couloir
1964 150 cm x 135 cm Catalogue Raisonné: 52
Huile sur toile

 

C’est encore l’hiver pourtant
quand elle ouvre la fenêtre

c’est le printemps qui entre
grains de mimosa dans la chevelure
une parure de pétales de giroflée posée sur les épaules

il illumine de son regard chacun des livres anciens
de la bibliothèque

il en réveille quelques uns d’autres roussissent jusqu’à se faner
et périr d’illisibilité 

il s’assied dans le fauteuil du père défunt

chaque feuillet posé sur le bureau espère encore la signature du maître
mais

la porte claque lorsqu’elle referme avec brutalité la fenêtre

elle attend de voir comment le printemps prisonnier
va s’y prendre pour s’échapper

fuir
elle en rêve depuis tellement d’années
aller librement sans la moindre arrière pensée

aller là où le regard lourd du vieux ne va pas poser de nouveaux problèmes
être hors de porté du geste grossier qui la condamne à chaque fois

le plancher grince dans le couloir quelqu’un crie
de hisser la voile
la demeure familiale devient enfin une caravelle
ne manque plus que la houle
folle et l’ivresse

un fantôme tient déjà le gouvernail
est à la barre
usurpe le pouvoir

le printemps
son printemps à elle les voilà dans la cale

Elle ouvre la fenêtre
c’est l’hiver pourtant elle décide de jeter l’ancre
là dans le jardin près de l’acacia en train de fabriquer des milliers de soleils
pour d’autres univers.