Matérialité

blueline no 4 // andrea pramuk

L’onctueuse transparence des vagues

accompagne celle des nuages muets

de lourd comme un galet mon cœur

devient bulle d’air qu’aucun mot

n’appareille

le ciel étale

jamais ne sonde l’étrange

matérialité de mon rêve

à ses rivages se dessine une frontière touffue

et mouvante

un animal porte le nom d’une fleur

la lumière tremble encerclée par le feu

étoffé d’un filet de poussières

l’étoile n’agite plus la nuit

la peur de s’éteindre aux confins du vide ne la hante plus

apaisée dans le pli soyeux d’un banc de sable

habité par les algues vertes elle rougit

Les sourires de la lune

Maria Eimmart - 17th century illustrations

Dans le pli d’un tissu, je reconnais le geste ondoyant et ample de tes idées comme des caresses pour la pensée. Dans les musiques qui charment les heures de mes journées les plus froides, j’entends encore faiblement ta voix, tes rires, petites graines de sable. Tu me manques tellement de fois. Pour goûter la chaleur d’un café, pour pouvoir marcher dans la rue et affronter ces troupeaux de bruits et les horreurs. Tu as oublié de me dire comment gravir les rochers et franchir les fossés.
Le jour, je sens la lune docile nager dans la nuée comme si elle était ton âme, petit poisson perdu dans l’éternité me suivant de loin. Je te sens comme les nénuphars surgissant de la nuit, trouant l’obscurité du lac qui les retient, je te sais narguant la mort en lui montrant le sourire de quelques pétales et ton cœur jaune ensoleillé.
Certaines nuits, tu réapparais dans les plis discrets d’une bouche endormie. Il n’en reste parfois plus qu’un cil. Ta luminosité est dorée et pleine, comme si tu avais mangé le soleil pour en faire cette crème qui calme mes plaies.
Je collectionne toutes tes apparitions dans tous les sourires enfantés par la lumière. Je n’ai jamais cessé d’aimer, de m’accrocher fébrilement à la moindre miette de beauté, à son ombre. Je refuse de croire en la laideur et de lui succomber en implorant le néant. Je vais partout suivant tes aurores, auréolant, me gorgeant de toutes les luminescences et de tes respirations. J’ai confié mes élans à tes rivages, à la lune rousse et adorable. Je la porte comme une couronne sur la tête, elle m’emporte comme une montgolfière là où les dragons zélés de la cruauté et du manque sont terrassés en une seule phrase.

Sur ta paume

 

Le jour se lève comme la brume et puis, ensuite, très lentement il commence à révéler en les caressant les arbres, les fougères et les herbes, les ruisseaux, les galets et la terre. Tout s’accomplit en silence et dans la quiétude. L’eau coule comme la lumière, la roche a la douceur des pétales de la rose blanche.

Chaque chose reçoit la place qui lui convient. L’harmonie semble pleinement dormir dans ce jardin qui ne doit être que beau. Cela suffit et le justifie.

Aux abords du ruisseau, où la lumière s’abreuve afin de mieux briller, quelqu’un contemple la beauté et son accomplissement opalescent. Dans la pénombre naissent en secret quelques suaves ivresses.

Chaque geste s’accomplit avec rondeur. Les pas du marcheur épousent les battements du cœur du rêveur. Le temps suspend son souffle et puis se répand paisiblement sur ce petit monde en le tintant de sépia ou de blanc.

Les arbres ondulent avec volupté, portent sur leurs branches comme des mains, des bouquets de feuilles ou de fleurs. L’abondance est un baume qui soulève jusqu’aux cimes, jusqu’aux cieux, les songes comme les nuages.

Soie

je voudrais pouvoir me défaire de ma carapace. Vivre sans cette cataracte, cette croûte, cet agglutinement de la peur. Je voudrais nager, voler, marcher, respirer sans avoir à me servir des phrases comme d’une jambe de bois. Je voudrais être légère, fluide et docile. Transformer mes pensées en fleurs muettes. Éparpiller les mots sur lesquels reposerait mon âme. Gaspiller la Beauté sans compter.

Je voudrais naître sans avoir à déclarer la guerre. Être tellement limpide qu’on ne me poserait plus de condition. Couler de source. Surgir dans la caresse. Faire oublier le temps.

J’aimerais n’être que dans la boucle, la première, du lys ou du lilas. Dans le pli du taffetas, dans le bruit de la soie. Je voudrais être moi. Sans symptômes, sans non. Me décliner comme par magie une infinité de fois. Enlacer les pupilles, faire taire le froid.

Magique?

Sien

Approche ta bouche sensiblement
de mon sein
sens qu’il se tend
vers tous les baisers que tes mots lui insuffleront
en caresses
reviens et va-t-en
poursuis de ton souffle son galbe son arrondi
maudis-moi qu’il soit si petit
je veux
je veux sentir ton corps entrer dans le mien par tous les moyens
je veux être tien te tenir te tendre
apprendre ta force lui servir d’appui si je puis

approche ta bouche de cette extrémité
farouche
qui te veut
tendre
attendons que nos peaux se fondent
l’une dans l’autre

balayons nos limites
à nous confondre
oublions nos archers
laisse-moi t’initier
à me jeter dans le feu

Les joyaux du jour

Gerechtigkeit-1537

Comme un ruisseau sur sa peau, coule la lumière. De son front au menton. De l’épaule jusqu’au sein. Du nombril à la hanche. Caché dans le pli de la jambe, dans l’ombre se devine son sexe. Il se donne ouvertement à l’imagination, sans ostentation phallique.

Elle n’est pas nue, un tissu transparent, léger comme le vent, la caresse. Je la regarde. Son épée me fait fuir elle ne m’en fera jamais connaître la pointe.

Elle regarde bien au delà de mon épaule, sans sourire, sans un mot. Comme si elle voulait me signifier qu’il n’y a pas d’autre vérité que la Beauté. De plus juste équilibre que celui dévoilé par sa nudité. L’éclat voluptueux de sa chair propose au monde de se taire et c’est ce qu’il fait. Son corps rayonne dans le noir, s’impose à toutes les lectures.

Son sexe envoûte comme un parfum. Discret comme un bourgeon, il attend la larme du désir ou les voeux de la passion. Il est comme un enfant, comme le plus petit des ruisseaux. Pur et fantastique. Il est comme le chant des sirènes qui font perdre le cap aux bateaux.

Son nombril contient à lui seul tous les noms que l’on donne aux oiseaux. C’est un cyclone, une grotte secrète, l’oeil félin de la faim, le nid pour l’amour.

Ses seins sont les joyaux du jour que jalousent les roses. Deux petits pains dont la rondeur comble la main. Deux perles de satin que l’on porte à sa bouche.