S’écrire

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Bertand Els via https://elsacker.tumblr.com/post/162509606291

J’entre en cet endroit où
Néant Vide Silence
s’élancent sans trouver le moindre sens
le mot se laisse remplacer par la feuille
ses dents sa chair mangent la lumière
pour tordre l’univers seulement des branches
aux gestes involontaires
elles ne dirigent aucun orchestre
seul mon esprit rampe et cherche une voie
où pourra serpenter mon rêve et penser que
le venin d’une morsure se mue en sève

Un miracle

tumblr_o7r7f6566Z1v6jft8o1_1280À force de t’attendre assis sur le banc près de l’entrée du jardin, je me suis transformé en mousse, en lichen. Je coule le long des barreaux des grilles, je suis dans toutes les fissures, à l’ombre, aux pieds des statues, sur les branches. Mes verts occupent les faces nord des écorces. Quand il pleut, les troncs sont semblables aux torses des grands chevaux bais qui tirent les chars antiques.
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J’ai parcouru toutes les allées, ramassé autant de cailloux que de larmes j’ai versées. J’ai marché scrutant le ciel, déliant les langues des nuages afin qu’ils m’avouent l’heure de ta venue. Aucun ne m’a livré le secret.

Tous  célébraient la danse du silence et me laissaient découvrir de lentes formes animales: la gueule béante d’un félin, la dent d’un requin, la pince d’un crabe géant. Ainsi se sont fossilisées les heures.
Comme un archéologue, dans les strates de brumes, dans les amas nuageux, j’ai cherché une explication à mon obstination ou à celle des autres .

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J’ai vu plusieurs fois le givre manger les pensées, j’ai remarqué qu’elles étaient toujours plus nombreuses à résister, à opposer leurs faiblesses à la rigueur, à refleurir l’année suivante avec la même insolence.
J’ai écouté crisser les griffes de la chaleur, sa brûlante désespérance empêchait tout mouvement.
J’ai entendu le jour se laisser tomber sur la terre dès que la grande porte grillagée se refermait sur le jardin. J’ai compris qu’avec l’aube, surgissait la surprise du printemps quel que soit le moment de l’année.Ta chanson ne pouvait plus qu’arriver.
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Aujourd’hui, tu es entré dans le jardin enrobé de lumière, portant à tes lèvres un magique instrument capable de transformer ta voie la plus intense, la plus sombre et profonde en un rire somptueux. Un rire gorgé de joie, un rire en soie, un rire mélancolique, un rire en mesure d’ englober le monde.
Tu as surgi dans chaque note. Tel un oiseau-jardinier, tu es passé de branche en branche, tu as tissé une tonnelle de brindilles pour le silence et rassemblé tout autour juste assez de notes bleues, de notes parfumées. Limpide, audacieux, fugace, furieusement amoureux.

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Tu ne t’es même pas assis sur le banc que j’avais occupé pendant des éternités, tu n’as même pas regardé mes nuances veloutées aux pieds des arbres, aux bordures des mondes.
J’ai alors compris que ce n’était ni le temps, ni l’espace qui empêchaient notre rencontre car nous occupions bien tous les deux le même univers. Franchir des frontières, c’est pourtant ce que font les chants des oiseaux aux printemps.
Ce qui nous sépare à jamais l’un de l’autre est un mot. Un mot muet, momifié. Un mot qui tremble comme les mirages. Un mot qui enveloppe l’autre d’une membrane brillante qu’on ne peut transgresser. Un mot mort.

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Ce mot tentaculaire a pris le temps de germer dans mon esprit à mon insu. Sans que je puisse désormais le déraciner, il m’est devenu impossible de le prononcer.


photographies de Bertrand VD. Elsacker

Les pages grises

Si ma porte se ferme quelques jours, c’est qu’il m’arrive de ne plus trouver prise nulle part. Aucune forêt pour retenir mes secrets, aucune de mes prières ne trouvent plus d’écho. Je reste vide dans une caverne vide, une gorge qui ne contient plus aucun mot.

Je n’ai pas grand chose à cacher dans ma petite coquille, si ce n’est la peine. Ma peine : comprendre votre monde, apprendre vos attitudes, déchiffrer ce que vos phrases cachent dans leurs nœuds. Vous ne me rendez pas la tâche facile.

Hier, votre soif de vengeance m’a fait trembler, votre peur du passant m’a révolté. Faut-il toujours faire partie du même clan pour être apprécié ? Lorsqu’on donne tout, il ne reste plus rien à voler. On ne peut plus faire de l’autre un menteur ou un voleur.

Si vous vous cachez sous une croûte de fausses vérités, si vous me faites prendre des détours, traverser des déserts ésotériques, si vous manipulez les mots pour torturer les phrases lorsqu’enfin, je toucherai à votre source, sera-t-elle encore assez fraîche que pour éteindre mon dégoût?

Les jeux que vous proposez, n’amusent plus que vous mêmes. Qu’est-ce que j’en ai à foutre que vous invoquez le hasard de la wiki pour dissiper votre ennui !Vous faites du rire une ironie vaine. L’autre est toujours plus con que vous, n’est-ce pas ?

Heureusement pour moi, des auteurs étanchent encore ma soif. Des cœurs simples existent sans peur. Une écriture limpide, une écriture du plaisir qui se partage, trouve encore le courage de se laisser couler sans naufrage.

J’ai parcouru quelques blogs et puis lassée, j’ai relu Mishima:

L’eau continuait de s’écouler peu à peu. Le niveau de l’eau chaude s’abaissait lentement de son épaule à ses seins, puis de ses seins à son ventre. L’eau semblait ainsi lui lécher paresseusement le corps, délicates caresses qui laissèrent bientôt sa peau tendue. Le froid envahit son corps. Son dos était glacé. L’eau tournoyait maintenant plus vite et plus bruyamment tandis qu’elle laissait ses hanches à découvert.

« Voilà ce qu’est la mort, pensa-t-elle. C’est la mort. » Etsuko était sur le point d’appeler à l’aide lorsqu’elle retrouva ses esprits. Elle était agenouillée, nue, dans la baignoire vide. Elle se redressa, effrayée. P170 « Une soif d’amour » Yukio Mishima

Soie

je voudrais pouvoir me défaire de ma carapace. Vivre sans cette cataracte, cette croûte, cet agglutinement de la peur. Je voudrais nager, voler, marcher, respirer sans avoir à me servir des phrases comme d’une jambe de bois. Je voudrais être légère, fluide et docile. Transformer mes pensées en fleurs muettes. Éparpiller les mots sur lesquels reposerait mon âme. Gaspiller la Beauté sans compter.

Je voudrais naître sans avoir à déclarer la guerre. Être tellement limpide qu’on ne me poserait plus de condition. Couler de source. Surgir dans la caresse. Faire oublier le temps.

J’aimerais n’être que dans la boucle, la première, du lys ou du lilas. Dans le pli du taffetas, dans le bruit de la soie. Je voudrais être moi. Sans symptômes, sans non. Me décliner comme par magie une infinité de fois. Enlacer les pupilles, faire taire le froid.

Magique?

Espace vide

Très souvent, je ne trouve aucun mot. Je n’ai plus rien à dire. Parfois dans l’espace vide que laissent les mots autour d’eux, je lis la souffrance, la tristesse, la mort. On dirait que tout cela, ne choisit toujours que les trous, les creux, les failles pour se planter. Comme s’il nous était dit: « ne cherche plus, c’est ainsi, aucun mot ne comblera jamais le néant ». Ce néant, tu ne seras plus là. Les mots nous confient l’existence, ils ont les mêmes limites. Faut-il aller au-delà, se contenter de pourquoi et de pensées muettes?

Tu marcheras entre mes phrases, dans mes silences, mes failles, mes espaces blancs. Tu seras rythme, temps mort. Repos. Paix. Tu seras l’air, le souffle, la bouffée d’oxygène de chacune de mes phrases. Toujours terriblement cruel, lancinant, narguant mes défaillances, dictant mon impuissance.

Aux abords coupants de mes cris et de mes larmes, tu m’attendras. Tu m’as donné ta parole.