ce poème est comme ce vase
moi
tombé brisé
défait de son ancienne unité
épars le poème
sa seule unité est le bris
a-t-il seulement un jour été
entre mes mains
contenu quelque
chose qui se compare au néant
Les simples et ordinaires mots de sa langue
ne lui suffisent pas
il aimerait peut-être renaître à l’instant d’avant
l’implosion
des sensations et saveurs premières
soupes de syllabes et concoctions de sons
dépourvues de sens sont ses phrases
mille lectures ne les réparent
ornières les points de suspension
portes fermées les virgules et les parenthèses
oeil-de-boeuf les annotations les références
il ouvre et ferme les guillemets mais
le poisson s’étouffe
les mots toujours et à jamais refusent l’illusion
du poème
Le monde est une ombre et pour l’éclairer tu n’as que
les mots d’un poème
dans lesquels tu ne te reconnais pas
une ombre épaissie pour l’élucider tu n’en as que l’idée
comme une rose du désert mi rage mi poussière
Une ombre et sa parole donnée à ce fantôme qui porte
le même nom que toi et
dans lequel tu peines à reconnaitre
ce qu’il a de toi si ce n’est
son coeur presque déjà froid et sa voix
qui se délite au contact des lettres fébriles
K et O
source image: ici
Mais que fait ce je parmi tous les mots
le poème n’est pas un coeur et encore moins un rocher qui bat
jusque dans chacune de ses rides jusqu’aux rives d’une âme
le pronom est trop lourd
soleil glacé il ne faut lui lâcher la bride
le je devient l’épicentre du tremblement des mots
aimerait apporter un sens côtoyer la beauté accordée au texte lunaire à sa fantaisie saturnienne qui n’est rien et n’est à personne
être le maître du jeu le je rêve d’être
mais il suit il sue il tue tout ce qu’il touche
le je est un crapaud celui qui croasse plus fort que les autres
le je est laid
le je n’est jamais bohème ce qu’il porte sur le dos
est une bosse à venins
Par dessus mon épaule pousse
la main caressante d’un arbre ancien
la douceur de son ombre -phalanges fines des doigts-
se pose sur le poème que la page d’un livre
me donne en toute pudeur
la main de l’arbre tremble
comme le reflet d’une eau
il lit entre les mots nourri d’un savoir
que les hommes ne possèdent pas
je sens que le soleil frémit en même temps
que son âme il éprouve je suppose une extase
à la pensée qu’il est un arbre
S’occuper d’un végétal
c’est presque comme s’occuper d’un poème
il existerait tout aussi bien en mon absence
sans que j’en ai la moindre connaissance
J’aménage dans la terre que j’ai nourrie
abreuvée en toute légèreté
un habitacle à deux étages
une chambre noire pour développer les racines
une chambre claire pour les tiges les épines les feuilles
les boutons les rejets
J’attends je projette des floraisons
j’observe
j’imagine des constructions de feuilles
je me rends apte à comprendre un langage
qui n’est pas encore le mien
puisqu’il n’use d’aucun mot
je rectifie toujours tous mes gestes
dans un souci de perfection
qui ressemble au meilleur usage
de la lumière
au plus judicieux partage de cette portion d’espace
je regarde le présent advenir
Au delà des mots,
il n’y a rien
grâce à eux
parfois je peux
décider de mes frontières
sans rompre le silence
à l’endroit où je les place
je sonde ce qui pourrait se nommer
puits
des veines
que les racines ravagent
de leur vies indifférentes
aux sens
traversant le vide noir
désobéissante ma pensée
rêveuse nage
avec l’accord des mots
certains réussissent
le poème
l’archer de ses flèches
alors ouvre une brèche
dans l’invisible membrane
fine et vive qui divise
les univers
ce qu’on n’arrive pas à nommer
tendrement un instant se regarde
s’imprime sur mon âme
qui se souvient
l’imperceptible
qui je croyais
de son message
animait le néant
En deçà des mots
il y a
la mort et le quotidien
qui lui obéit
avec toujours plus
de soin
Mes mains ont toujours été le théâtre de lignes
échappant à tous les chemins
elles se croisent, elles sont comme des plantes grimpantes
des queues de comètes
mon esprit a toujours été le champ où se poursuivent
les questions sans réponse
où naissent des bourgeons fiers comme les pointes des flèches
°
la poésie n’est pas ce fantôme qui cherche dans tes poèmes un tombeau