concoction

Kunizo Matsumo-Notebook

Les simples et ordinaires mots de sa langue
ne lui suffisent pas
il aimerait peut-être renaître à l’instant d’avant
l’implosion
des sensations et saveurs premières


soupes de syllabes et concoctions de sons
dépourvues de sens sont ses phrases
mille lectures ne les réparent

ornières les points de suspension
portes fermées les virgules et les parenthèses
oeil-de-boeuf les annotations les références
il ouvre et ferme les guillemets mais
le poisson s’étouffe
les mots toujours et à jamais refusent l’illusion
du poème 

Une ombre

Le monde est une ombre et pour l’éclairer tu n’as que 

les mots d’un poème

dans lesquels tu ne te reconnais pas

une ombre épaissie pour l’élucider tu n’en as que l’idée

comme une rose du désert mi rage mi poussière

Une ombre et sa parole donnée à ce fantôme qui porte

le même nom que toi et

dans lequel tu peines à reconnaitre 

ce qu’il a de toi si ce n’est 

son coeur presque déjà froid et sa voix 

qui se délite au contact des lettres fébriles

K et O


source image: ici

Ego sum…

Mais que fait ce je parmi tous les mots

le poème n’est pas un coeur et encore moins un rocher qui bat

jusque dans chacune de ses rides jusqu’aux rives d’une âme

le pronom est trop lourd 

soleil glacé  il ne faut lui lâcher la bride

le je devient l’épicentre du tremblement des mots 

aimerait apporter un sens côtoyer la beauté accordée au texte lunaire à sa fantaisie saturnienne qui n’est rien et n’est à personne

être le maître du jeu le je rêve d’être

mais il suit il sue il tue tout ce qu’il touche 

le je est un crapaud celui qui croasse plus fort que les autres

le je est laid

le je n’est jamais bohème ce qu’il porte sur le dos 

est une bosse à venins

Lentisque

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Bryan Nash Gill (American, 1961-2013), Acorn, 2013, wood print, 37 7/8” x 26”

Par dessus mon épaule pousse

la main caressante d’un arbre ancien

la douceur de son ombre -phalanges fines des doigts-

se pose sur le poème que la page d’un livre

me donne en toute pudeur

la main de l’arbre tremble

comme le reflet d’une eau

il lit entre les mots nourri d’un savoir

que les hommes ne possèdent pas

je sens que le soleil frémit en même temps

que son âme il éprouve je suppose une extase

à la pensée qu’il est un arbre

Adventice

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William Henry Fox Talbot, Wild Fennel (1841-42)

S’occuper d’un végétal
c’est presque comme s’occuper d’un poème
il existerait tout aussi bien en mon absence
sans que j’en ai la moindre connaissance
J’aménage dans la terre que j’ai nourrie
abreuvée     en toute légèreté
un habitacle à deux étages
une chambre noire     pour développer les racines
une chambre claire     pour les tiges   les épines     les feuilles
les boutons       les rejets
J’attends     je projette des floraisons
j’observe
j’imagine des constructions de feuilles
je me rends apte à comprendre un langage
qui n’est pas encore le mien
puisqu’il n’use d’aucun mot
je rectifie toujours tous mes gestes
dans un souci   de perfection
qui ressemble         au meilleur usage
de la lumière
au plus judicieux partage     de cette portion d’espace
je regarde le présent advenir

Vigilance

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Au delà des mots,
il n’y a rien
grâce à eux
parfois je peux
décider de mes frontières
sans rompre le silence

à l’endroit où je les place
je sonde ce qui pourrait se nommer
puits
des veines
que les racines ravagent
de leur vies indifférentes
aux sens

traversant le vide noir
désobéissante ma pensée
rêveuse nage

avec l’accord des mots
certains réussissent
le poème
l’archer de ses flèches
alors ouvre une brèche
dans l’invisible membrane
fine et vive qui divise
les univers

ce qu’on n’arrive pas à nommer
tendrement un instant se regarde
s’imprime sur mon âme
qui se souvient
l’imperceptible
qui je croyais
de son message
animait le néant

En deçà des mots
il y a
la mort et le quotidien
qui lui obéit
avec toujours plus
de soin


Source image

Sphère

Rony Plesl

Mes mains ont toujours été le théâtre de lignes

échappant à tous les chemins

elles se croisent, elles sont comme des plantes grimpantes

des queues de comètes

mon esprit a toujours été le champ où se poursuivent

les questions sans réponse

où naissent des bourgeons fiers comme les pointes des flèches

°

la poésie n’est pas ce fantôme qui cherche dans tes poèmes un tombeau