À tous les silences

©Tomohiro Inaba source image:Artistaday

L’eau était glacée

mais

c’était ça ou la mort

mais

la mort a plongé aussi

mais

elle n’avait pas froid

n’avait point peur

elle aboyait

je suffoquais

ils ont signalé

que

j’avais franchi la frontière la démarcation 

et

que

j’étais libre sauvée

mais 

ils ont  malgré tout tiré

et  après

 donné

ma dépouille aux chiens à leurs aboiement leurs dents

ma carcasse à la forêt, à ses croassements, à sa bouche édentée

à tous les silences 

Voies

Cette étoffe lente
de velours noir c’est la rivière qui erre dans les bras de la forêt

L’eau sans remous semble s’alourdir en plein d’endroits

les poissons engourdis se laissent caresser par la vase froide

une voix lance un appel à la solitude et elle lui répond comme le font les cascades
les gorges sont pleines de noms élargissant les possibles

une famille de chants réchauffe la brume lui dénoue la chevelure
renoue des amitiés fortifie les sensations

au-dessus de la rivière infranchissable la meute vient de construire un passage
chaque membre de la troupe l’emprunte en suivant les pas de
la louve alfa

Embouchure

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La colombe quotidienne trempe la pointe du bec

afin que l’eau auréole autour de ce point

perde son équilibre de tranquillité endormie

la guêpe de son corps vibrant guette les douceurs

du petit-déjeuner 

Où se rejoignent ces circonvolutions voulues et presque

semblables

Qui aimerait croire qu’il suffit d’un mot 

d’une phrase pour que se produise l’unification universelle 

Furtivement

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© hardcorepunkbf

Quand elles viennent boire

l’eau du rocher

elles regardent si le ciel s’y mire encore

si c’est le cas l’une se penche et boit

l’autre trempe furtivement son bec

devenu pinceau de l’aube en plein après-midi

pour l’envol comme pour l’atterrissage les plumes

rose et grises aux nuances de perle émettent un chant

presque chaque fois le même

une voix d’étoffe

une voix de grâce 

qui dirait en langage de soie: « ah que j’ai soif ! » 

Je vois le jour naître

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Affresco romano giardino pompei via wikipédia

 

Je vois le jour naître
Deux galets vert gris

°
Polis pour désigner
L’oiseau doux

°
Viennent à intervalles réguliers
Picorer des graines de soleil

°
Je vois le jour naître
Sans laisser la moindre
Empreinte à la surface de l’eau

°
Je vois le jour n’être que
Le vent dans les roseaux

°
Une voix s’essouffle
Et murmure:

« Le temps ne s’écoule pas,
il n’est pas une rivière. »

Jardin

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Kerman ‘vase’ carpet fragment, southeast Persia, early 17th century. 1.96 x 3.06m (6’5” x 10’1”).

Juste avant que la nuit fasse son entrée dans le jardin
une rose s’est évanouie
comme pour donner le signal
Un bref instant j’ai eu l’impression qu’un oiseau blanc
se laissait tomber de la branche pleine d’épines
Ensuite peu à peu se sont mélangés les parfums
des fleurs et de la terre se gorgeant de fraîcheur et d’humidité

Les oiseaux ont cessé leurs chants
les appels se sont tus et le long des murs
sont apparues les silhouettes gracieuses de jeunes geckos
Le chat est redevenu le félin égyptien
logé tout en haut de la pyramide alimentaire

Dans le ciel sautant d’une étoile à une autre
les pipistrelles affleuraient le néant et cueillaient
parfois quelques gorgées
d’eau sans laisser derrière elles
la moindre empreinte sur la surface
Le silence avait pris de l’ampleur
plus rien pour le froisser pas même
la démarche pleine d’énigmes
du sphinx dont on devinait le profil
parfaitement découpé dans une étoffe plus sombre
Le vol floconneux d’une chouette me rappela un instant
l’existence presque oubliée d’une brûlante blessure
L’angoisse de vivre et celle forcée de devoir reconnaître le passé.