À chaque instant

À chaque instant il m’accompagne

plus doux plus souple que mon ombre

parfois il me regarde juste pour voir

si je le sais près de moi

je sors il me suit

je marche en allongeant le pas

il multiplie les siens il sautille

il est comme le trait noir du pinceau

sur l’échine d’un taureau

Il pourrait être ailleurs 

en tous ces endroits inaccessibles

j’ai beau lui dire qu’il est libre 

sa réponse est toujours la même

je te suis

je veux être là où je suis et pas ailleurs

ici maintenant et jamais demain


© image: Desert Hiker Gal Falling Man Petroglyph Gold Butte National Monument

Turdus merula

source image

En tenue nuptiale sur la plus haute branche

du lentisque

l’oeil cerclé de jaune il regarde

il regarde la terre

il regarde le ciel

le jardin diffusant ondes lumineuses et parfumées

il regarde le frémissement des feuillages

vole fait quelques pas montre l’éventail noir luisant de ses plumes

s’évapore 

et quand il chante plus tard tu sais que le jour est mourant

Demain

©cc

Les herbacées en essaims 

orange violets rouges et bleutés

face à la colline qui retient son souffle

la nuée en mer les nuages au ciel

un éclat de source bruit

les gouttes appellent le pas pressé de la tortue

le froufroutement de plumes dans l’arbre

s’échappent sur les murets les lézards et leurs ombres minuscules

du pommier il neige quelques pétales et une saveur de fruit

qui ne dérange pas l’abeille

le thym a la tête dans les étoiles ses fleurs frémissent 

et sont sur la même longueur d’onde que les lavandes stéchades 

et les mauves 

plus loin l’iris se voit 

attribuer sa propre lueur blanche

le coeur serré une fourmi entre dans la nèfle la plus éloignée de la cité

se balance sur le dos de ma main celui qui sera demain

peut-être le tigre de l’herbe

L’espoir

Le jardin a longtemps cru

en un retour du printemps
sans passer par l’hiver.

Aucun feuillu ne s’est dépeuplé.

En passant par une floraison timide

il en est un qui a conçu des fruits

le poirier.

Le premier à comprendre fut le figuier

c’est que cette année exceptionnellement 

il avait produit à deux reprises

tellement de figues qu’il était fatigué.

Les autres se sont fiés à ceux qui jamais ne perdent 

toutes leurs feuilles en même temps

si bien que quand elles se renouvellent

on le remarque à peine.

Sur le poirier une dizaine de nouaisons

et un peu plus tard des poires rougeoyantes

parfaitement formées mais sur lesquelles

il n’y a presque rien à manger.

Un coeur autour de quelques pépins!

Que dire de ceux qui ne s’habituent pas!

Hier, la neige est tombée en quelques flocons 

sur une cime très éloignée

mais le vent a transmis la missive anonyme et froide .

Forêt

© Bertrand Elsacker

Dans la forêt d’eucalyptus il n’y a plus personne

quelques pins et leur broderies d’aiguilles 

un silence d’écorce et parfois quelques plumes

la cime sert de nid au milan

il miroite au soleil parmi mille feuilles

éclaboussées par le soleil

Aujourd’hui on entend la mer

filtrer la lumière

avant de se mélanger aux saveurs automnales

du maquis 

Message

La guêpe dans la tasse de thé fleurie 

fait résonner son coeur 

battement d’ailes frénétique

et puis se pose sur le mot

que je vais lire pour m’interdire

de progresser simplement d’un mot à un autre

faut-il que je survole  et oublie le mot 

Dard

à moins qu’il ne soit trop tard 

pour écourter le livre

Seulement le ciel

Seulement le ciel 

Qui ne porte pas de nom 

Mais que porte la mer en elle

Seulement le silence immobile 

La nuance

La longue histoire de la langue 

Qui ne porte en elle pas de nom

Mais que porte le symbole 

L’objet et son âme l’haleine 

Passe de brume à nuage

De nuage à colline à ruisseau à cheval

À l’horizon une nouvelle aube

La nuit dénudée la lune sortie de sa bogue 

Verte

Miniature


Christ cloué sur la Croix
Heures de Marguerite d’Orléans
France (Rennes), XVe siècle.
BnF, département des Manuscrits, Latin 1156 B, fol. 139
© Bibliothèque nationale de France

Dans ce jardin encerclé par le ciel
la pluie se dessine comme les fils d’une toile d’araignée
on assure que la lumière reste visible seulement dans les fleurs
quelques points se suspendent dans les coeurs

pour déjouer les sorts se préserver du doute et de la peur

s’incruste partout le lapis lazuli
les étoffes outre-mer

habillent l’espace et le vide

et rythment des flots