Prodigue toujours ta beauté sans compter ni parler. Tu te tais. Elle dit à ta place: je suis, puis en multiples sens retombe, tombe enfin sur chacun. Rainer Maria Rilke
Cette étoffe lente de velours noir c’est la rivière qui erre dans les bras de la forêt
L’eau sans remous semble s’alourdir en plein d’endroits
les poissons engourdis se laissent caresser par la vase froide
une voix lance un appel à la solitude et elle lui répond comme le font les cascades les gorges sont pleines de noms élargissant les possibles
une famille de chants réchauffe la brume lui dénoue la chevelure renoue des amitiés fortifie les sensations
au-dessus de la rivière infranchissable la meute vient de construire un passage chaque membre de la troupe l’emprunte en suivant les pas de la louve alfa
Les larmes glissent le long de la vitre attirées par une force gravitationnelle elles ne peuvent que s’écouler il en est toujours de nouvelles qui viennent s’agglutiner reformulant l’écriture des trajectoires précisant cet espèce d’effondrement inévitable
les routes neuronales de la pluie ne sont pas que dérives
Au-delà dans le jardin les trames pluviales se superposent comme des voiles selon l’épaisseur selon la limpidité
sous l’olivier l’étoffe est transparente en mer elle est bleutée en montagne elle est duveteuse
Partout la lumière blanche est filtrée
Le noyau de la goutte est une particule d’étoile un point discret une pupille qui ne cesse presque jamais de rayonner par le regard l’effondrement laisse un passage ouvert
la pluie partage et scande le jardin et l’au-delà tel un mille-feuille
Elle est comme la main qui tremble, qui hésite, qui ne sait pas. Elle est comme en bas d’un tableau qu’elle refuse méthodiquement de signer comme si ce n’était pas le sien. Pourtant, ne l’a-t-on pas vue aller et venir, osciller, déplacer des grains de lumière, des perles d’ombre?
Elle est comme un coeur sensible, qui se bat contre les combats, un coeur qui se retourne et se retourne encore, se froisse peut-être. Elle est comme la petite balle qui rebondit tellement de fois. L’étoffe qui se défait, la voix qui se démunit, oublie l’existence des mots.
Elle reste invisible jusqu’à ce qu’un de ses mouvements mécaniques révèle les rémiges d’un jaune soleil.
Les forces gravitationnelles oubliées La feuille morte vole vers l’arbre -et ce n’est pas un oiseau- La fleur papillonne bien au delà de sa hampe florale Et toutes les pensées une à une se détachent
Soudain le soleil dans le dos la mer comme un grand cétacé soupire tout le jardin frisonne et tremble en revenant à lui-même le rêve éteint le coeur gros au bord des larmes incapable de dire si c’est la fatigue les émotions sont parfois de tels fardeaux
Ce qu’il regarde, c’est presque toujours le vent. Un souffle qui agite le feuillage graduellement. Tous ces détails qui pour la grande majorité des humains ne sont rien, ne signifient rien, tout cela est à ses yeux de première importance.
Il observe les ombres, les zones de petite clarté, les mouvements infimes qui s’opèrent entre chaque ingrédient. Il sent, il sait que se tiennent là les furtifs remparts de son univers. C’est là qu’il rencontre les premières sentinelles du territoire extensible et souple qui est le sien. Un monde qui n’est pas censé nous échapper aussi facilement. Le langage des éléments avec tous ses reliefs sonores, olfactifs, temporels infimes.
L’harmonie partiellement atteinte tremble et tangue comme l’ombre d’une pieuvre nuageuse, un fantôme rétablit l’équilibre insaisissable. Il voit entre les herbes et les pierres, la silhouette frêle d’un lézard, il aperçoit la mécanique hyptnotisante derrière la danse de la mante. Il entend une voix qui se hasarde au fond de lui, une musique rassurante, épanouie comme une fleur au soleil et décide qu’il est temps de fermer les yeux.
Sous les paupières, le monde liquide du rêve se mélange à la réalité qui se cristallise impassiblement. Peu à peu le sommeil soulève en rythme de petites vagues sur la mer noire du pelage. Il dort. Il réécrit de petites galaxies en petites galaxies l’infinité juste avant qu’elle ne se fossilise à jamais dans l’ambre.
Posés là les mots ne t’appartiennent pas ils ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes ils s’ancrent et s’arriment alors tu t’attèles à ce qu’ils restent à jamais seuls et libres là où personne ne se penchera sur eux pour les lire les lier à la langue commune et universelle pour en faire une liqueur dont les vapeurs suffisent pour étourdir tu leur réserves à tous une sorte de porte secrète
Quelque machine arrache à la colline ses rochers un saurien poussé par le soleil sur le muret écoute son coeur vibrer jusque dans sa gorge un papillon ne se pose pas sur la fleur il emporte le pollen pendant que je cherche à déchiffrer les signes apposés sur ses ailes un oiseau tombe du ciel comme une feuille sèche une herbe sauvage tremble d’être parmi les feuillages d’une plante qu’on aimerait apprivoiser un chat frôle les frontières entre jardin et maquis et redevient un grand félin une tourterelle traverse le ciel contenu entre deux cimes un tremblement de terre annonce le passage du train il est midi à cinq petites minutes près.