Prodigue toujours ta beauté sans compter ni parler. Tu te tais. Elle dit à ta place: je suis, puis en multiples sens retombe, tombe enfin sur chacun. Rainer Maria Rilke
Ses mains aux ongles de nacre rose sont posées sur le lac immaculé du drap qui le borde jusqu’au buste. Je viens de lui signaler que la lune ce matin a déposé son tout petit baiser sur ma joue. Il dort. Il n’entend rien. Il ne sait pas qu’elle était rousse, que son visage illuminé semblait frôler la cime des arbres gelés.
La mort est en train de faire un nœud dans ma gorge, je ne veux pas qu’il me voie pleurer. J’ai peur, j’ai froid.
Devant le médecin, voilà qu’il se transforme en statue. Il ne dit rien, il ne répond rien comme s’il était déjà parti.
Ma main le retient : « dis-moi, puis-je revenir demain ? »
Ses mains sont semblables aux nuages qui accueillent le soleil quand il se pose sur la mer et se gorge de roses et d’oranges.
Ses mains invitent souvent les souvenirs et les saveurs à former des jardins.
Mon esprit soudain comprend comment et pourquoi les iris obtiennent ces dégradés impossibles de jaunes et de blancs ayant la texture du sucre et le goût soyeux de la crème.
Ses mains d’un geste vif et précis racontent toute l’efficacité des pensées qu’elle cultive avec ferveur et passion depuis toujours. Ses mains me proposent quand elles se posent sur mon sein de découvrir ma liberté, petite libellule, elle épouse le bleu et le vert dans un vol presque statique.
Dans le creux de ses paumes se blottissent deux petits cœurs hybrides, mûres ou framboises, ils n’ont pu se décider que d’être les deux à la fois. Qui oserait les manger ? Alors qu’ils semblent simplement vouloir n’aimer que l’âme.
Les fleurs folles qui les ont enfantés ont vu la mer et ses petites colères se colorer de turquoise.
Les étranges petits rubis scintillent éparpillées amoureusement dans les velours du jour.
Pour protéger la beauté farouche, pour qu’elle se choisisse plein de chemins qui ne porteront jamais de nom ni de définitions, ses mains comme le jasmin parfument mes palais.
Mon esprit voyage sur une partition dessinée par des orchidées. Les bourgeons en attendant qu’ils se déploient craignent les regards froids de l’air. Les fleurs comme des mains recomposent la lumière, les océans, les ondes de poussières. Elle défient la réalité d’apparaître comme un rêve. Des veinules pourpres alimentent les surfaces jaunes et blanches. Des grains de beautés se déposent comme des vagues sur les plages formées par des pétales purs aux contours somptueusement précis.
La partition finalement se présente comme une nébuleuse sauvage que personne n’apprivoise et dont le cœur est une géante qui se meurt en explosant de joie.
Je me demande pourquoi on se refuse à écouter ce qui se joue là.
C’est une pierre qui dort. On ne voit pas qu’en son sein scintille un univers à venir: pins aux aiguilles titillant joliment le ciel de votre esprit, rochers agrippant le regard de votre volonté, l’oiseau de vos souvenirs se posant sur une branche, ailes tendrement repliées comme s’il n’avait plus à s’envoler. C’est une pierre qui semble devoir vous révéler la puissance de vos rêves par rapport à l’irrévocable réalité de l’ordinaire.
On ne voit guère les remous somptueux de ses océans, on soupçonne à peine la souplesse de son opalescence et l’onctuosité limpide de ses reflets. On ignore tout de la souveraineté charnelle de son corps. C’est une pierre qui ne se révèle qu’à celui qui la choisit lentement. Elle est un végétal à l’état de bourgeon, son soleil est l’éternité.
C’est une pierre qui dure. Vos mains lui donneront des ailes lorsqu’elles se mettront au travail. Sortie du lit de la rivière, polie, elle nettoiera votre âme. Elle sait que les blancheurs laiteuses de ses phrases, petit à petit transformeront le regard que vous avez sur la vie.