Prodigue toujours ta beauté sans compter ni parler. Tu te tais. Elle dit à ta place: je suis, puis en multiples sens retombe, tombe enfin sur chacun. Rainer Maria Rilke
Par la fenêtre je vois la corneille mantelée tenter de résister la mer murmurer de plus en plus de vagues la première colline absorber toute la chaleur du soleil les montagnes peu à peu se faire manger par des nuages
Les sommets enneigés diffusent leur haleine froide Les versants frissonnent La mer grelotte Les voix chaudes du vent descendent d’une octave Dans les forêts pourtant Le peuple des plantes refuse de se soumettre
Reiner Seibold (D) 1933 – 2018 Psalm 90, 1990, 50 x 60 cm, BSK 1,52
Tous les jours les nuages façonnent les montagnes comme si elles avaient leurs racines dans les nues alors qu’elles naissent des profondeurs et des abysses du temps
Tous les jours les nuages dressent un nouveau portrait sans faille un profil bleuté où les valeurs sombres sont inversées le bleu nuit passe pour du blanc le noir est effacé au profit du gris perle
certains jours les nuages n’ont pas d’autre choix que de faire disparaitre les montagnes en mer au large
Ce qui était inaccessible est soudain à portée de main Ce qui était immuable a disparu
Sur la plage la vague ouvre un éventail une autre en souligne la dentelle d’écume une autre efface toute trace du travail
ce qui demeure en mon esprit c’est l’instant où le sable se découvre un pelage quand on le caresse une voix parce qu’il respire à peine quelques secondes d’effervescence
sans opérer le moindre écart le temps tente une nouvelle fois d’inscrire le présent en dehors de toute limite sans attirer le regard
le jambage d’une lettre le creux d’un signe le dos d’une ponctuation la stigmate silencieuse que laisse l’évocation
C’est encore l’hiver pourtant quand elle ouvre la fenêtre
c’est le printemps qui entre grains de mimosa dans la chevelure une parure de pétales de giroflée posée sur les épaules
il illumine de son regard chacun des livres anciens de la bibliothèque
il en réveille quelques uns d’autres roussissent jusqu’à se faner et périr d’illisibilité
il s’assied dans le fauteuil du père défunt
chaque feuillet posé sur le bureau espère encore la signature du maître mais
la porte claque lorsqu’elle referme avec brutalité la fenêtre
elle attend de voir comment le printemps prisonnier va s’y prendre pour s’échapper
fuir elle en rêve depuis tellement d’années aller librement sans la moindre arrière pensée
aller là où le regard lourd du vieux ne va pas poser de nouveaux problèmes être hors de porté du geste grossier qui la condamne à chaque fois
le plancher grince dans le couloir quelqu’un crie de hisser la voile la demeure familiale devient enfin une caravelle ne manque plus que la houle folle et l’ivresse
un fantôme tient déjà le gouvernail est à la barre usurpe le pouvoir
le printemps son printemps à elle les voilà dans la cale
Elle ouvre la fenêtre c’est l’hiver pourtant elle décide de jeter l’ancre là dans le jardin près de l’acacia en train de fabriquer des milliers de soleils pour d’autres univers.
rien, c’est la feuille, le fruit, la branche, le tronc. rien, c’est le gravillon, le sol, le sable, un coquillage. rien, c’est la terre, la racine, le rhizome. rien, c’est le chemin, la route qui mène à la montagne. rien, c’est le village, les habitations, la gare. rien, c’est la maison, ses chambres, ses meubles et moi.