À chaque instant

À chaque instant il m’accompagne

plus doux plus souple que mon ombre

parfois il me regarde juste pour voir

si je le sais près de moi

je sors il me suit

je marche en allongeant le pas

il multiplie les siens il sautille

il est comme le trait noir du pinceau

sur l’échine d’un taureau

Il pourrait être ailleurs 

en tous ces endroits inaccessibles

j’ai beau lui dire qu’il est libre 

sa réponse est toujours la même

je te suis

je veux être là où je suis et pas ailleurs

ici maintenant et jamais demain


© image: Desert Hiker Gal Falling Man Petroglyph Gold Butte National Monument

Turdus merula

source image

En tenue nuptiale sur la plus haute branche

du lentisque

l’oeil cerclé de jaune il regarde

il regarde la terre

il regarde le ciel

le jardin diffusant ondes lumineuses et parfumées

il regarde le frémissement des feuillages

vole fait quelques pas montre l’éventail noir luisant de ses plumes

s’évapore 

et quand il chante plus tard tu sais que le jour est mourant

Effraie

© Randy Langstraat | Adventure Blog | Rock Art Blog

Sur l’épaule le mot 

Grinçant d’une petite peur d’enfant 

La course d’un rongeur sur la poutre du toit et dehors le roucoulement langoureux 

De la tourterelle sa solitude permanente 

Que le vol n’efface pas 

Tu cherches quoi 

L’outil qui ne sera pas à sa place 

Tu vas vers l’obscurité ignorant que les dieux te regardent se demandent si

Ce n’est pas le temps que tu perds tout le temps 

Tu vas le petit poids de peur n’est plus là

Il vient de s’évaporer tel un ange 

Vers le ciel tu vois son plumage 

Devenir un nuage 

Demain

©cc

Les herbacées en essaims 

orange violets rouges et bleutés

face à la colline qui retient son souffle

la nuée en mer les nuages au ciel

un éclat de source bruit

les gouttes appellent le pas pressé de la tortue

le froufroutement de plumes dans l’arbre

s’échappent sur les murets les lézards et leurs ombres minuscules

du pommier il neige quelques pétales et une saveur de fruit

qui ne dérange pas l’abeille

le thym a la tête dans les étoiles ses fleurs frémissent 

et sont sur la même longueur d’onde que les lavandes stéchades 

et les mauves 

plus loin l’iris se voit 

attribuer sa propre lueur blanche

le coeur serré une fourmi entre dans la nèfle la plus éloignée de la cité

se balance sur le dos de ma main celui qui sera demain

peut-être le tigre de l’herbe

Énigmatique

The Medulla Nebula Supernova Remnant 
Image Credit & Copyright: Kimberly Sibbald

Il y a 10000 ans on a pu la voir

exploser

et comme si le temps était une succession de moments

un immense gâteau à se partager

on la voit encore aujourd’hui s’envelopper 

de nuées bleues de gaz brûlants

là-bas et ici hier et aujourd’hui relativement

éloignés l’un de l’autre

j’ai perdu la notion des distances et je mesure 

le temps non pas grâce à la course prodigieuse de la lumière

mais simplement en regardant longtemps

naître et mourir

la rose 

L’eau nocturne d’une flaque

© Antoine d’Agata pour l’agence Magnum – d’après une phrase du livre de Louis-Ferdinand Céline « Voyage au bout de la nuit »: « C’est des hommes et d’eux seulement qu’il faut avoir peur, toujours. »

Quand il ferme les yeux il voit

un arbre les feuilles bruissent

il entend les cris de créatures

minuscules à la place du visage

un masque souriant d’où s’extirpe

un regard

pupilles brillantes telles l’eau nocturne

d’une flaque et il se demande pourquoi

du jour au lendemain son quotidien

a été gommé

a disparu

en même temps que la porte blindée de son appartement

que les fenêtres 

tant d’éclats sur le sol

pourquoi les écoles n’accueillent-elles plus que les vieillards

pourquoi les villes se sont-elles embourbées

il connaît la réponse mais il ne veut la formuler

depuis qu’il a vu son voisin transformé par la mort

en une brutale sèche et rocailleuse sculpture

rongée par la peur surprise par une douleur 

monumentale


On peut apprécier le travail d’Antoine d’Agata notamment sur sa page instagram.

Son travail sur la guerre d’Ukraine réussit à signifier l’horreur de la guerre. Images insoutenables, elles chassent le voyeurisme journalistique. Ceux qui sont morts et dont les cadavres pourrissent à l’air libre sont des hommes, des hommes. Que reste-t-il d’eux ici, là et ailleurs ?

Somme

L’onctueuse fourrure 

Ondoie selon le rythme de la respiration

Au sommeil 

elle est mer et forêt écume et brume mousse ou corail 

Végétale et animale 

Parfums rassemblés par la poussière portée par 

La lumière 

Quel voyage équivaut à un rêve

Quelles distorsions du temps adviennent pour produire cet état 

Un chat noir étendu dans l’unique flaque de lumière chaude de la pièce 

Le monde s’abstiendra de s’effondrer là