L’eau nocturne d’une flaque

© Antoine d’Agata pour l’agence Magnum – d’après une phrase du livre de Louis-Ferdinand Céline « Voyage au bout de la nuit »: « C’est des hommes et d’eux seulement qu’il faut avoir peur, toujours. »

Quand il ferme les yeux il voit

un arbre les feuilles bruissent

il entend les cris de créatures

minuscules à la place du visage

un masque souriant d’où s’extirpe

un regard

pupilles brillantes telles l’eau nocturne

d’une flaque et il se demande pourquoi

du jour au lendemain son quotidien

a été gommé

a disparu

en même temps que la porte blindée de son appartement

que les fenêtres 

tant d’éclats sur le sol

pourquoi les écoles n’accueillent-elles plus que les vieillards

pourquoi les villes se sont-elles embourbées

il connaît la réponse mais il ne veut la formuler

depuis qu’il a vu son voisin transformé par la mort

en une brutale sèche et rocailleuse sculpture

rongée par la peur surprise par une douleur 

monumentale


On peut apprécier le travail d’Antoine d’Agata notamment sur sa page instagram.

Son travail sur la guerre d’Ukraine réussit à signifier l’horreur de la guerre. Images insoutenables, elles chassent le voyeurisme journalistique. Ceux qui sont morts et dont les cadavres pourrissent à l’air libre sont des hommes, des hommes. Que reste-t-il d’eux ici, là et ailleurs ?

Éteint

Son âme toujours revient
brouter près de la mienne

son doux museau ses lèvres

ses naseaux prêt à aspirer l’air

d’un galop

il n’est jamais fantôme 

ombre refroidie par l’absence

un lacet de rivière noire

pourtant nous sépare

j’ai peur de l’avoir abandonné

cette unique fois où il avait besoin de moi

si seulement ce mot n’existait pas

mort

Oiseau de nuit

image via © Nick Brandt 2013 Courtesy of Hasted Kraeutler Gallery, NY

Toujours j’espère te reconnaitre

quand je m’approche de ta nuit

mais toi tu préfères pour l’instant que je pense

que tu n’existes pas et que tu ne niches pas

là 

où les sommets te plongent dans le silence et les ombres

Si j’entends le bruit d’une aile

ce ne sera pas la tienne mais celle de la sittelle qui niche tout en haut de l’échelle

si je vois quelques bûches trembler je sais que derrière elles se cache le tout petit animal qui semble aussi faire partie de ton menu quand tu te réveilles et voles et survoles

Toujours j’attends la peur au ventre

l’instant où je te surprendrai dans ton sommeil 

et que tes deux soleils s’ouvriront pour sonder s’il est temps

que je dorme un peu plus longtemps

Finalité

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Anish Kapoor, Zonder titel 1992 polystyreen, aluminium, fiberglas, acrylmedium en pigment diameter 220 cm, ruimte 480 x 240 x 380 cm 1993.AK.01

Parmi les nuages
la nuit
l’hiver
le froid
la pluie
la lune
elle finit par descendre et se pose
sur les branches d’un pin aux aiguilles argentées
elle choisit sûrement celui
qui la suivra un jour
enfin ce sera moi
parmi les nuages
la nuit
l’hiver
dans le froid et la pluie
je vois ton visage celui
que tu n’avais pas alors
que tu étais encore en vie


Source image

Or

Artem Ogurtsov
Artem Ogurtsov

L’or est dans le regard

Du lys blanc

Tu le frôles frelon vrombissant

Tu emportes le printemps

Comme un pigment

pour faire tinter l’horizon

L’or est dans l’iris

du loup

du chat

du lion descendu de la montagne

Dans les flammes vertes et les aiguilles des buissons

qui rongent les ombres et frémissent

les pupilles brillent et se fendent

La mort s’envole en croassant

Juste avant que la lune naisse

L’or est dans la tresse de cette folle

Sa plénitude te transperce

comme le dard de cette fleur

dont les parfums habillent

la nue

Tout ce que je ne comprends pas

J’ai peur. Ne me demande pas de quoi. Je ne sais pas. Peut-être n’ai-je peur que de moi. Sans comprendre pourquoi, je sens la peur en moi. D’abord, toute petite, elle se déploie alors que je respire. Elle prend toute la place. Elle sort de mon poing, saute sur mon cœur, galope dans mes veines et se couche sur mes poumons. Elle me fait perdre la voix, brouille ma vue de larmes et picore quelques uns de mes plus beaux rêves pour que je les oublie. J’ai peur.

J’ai peur du noir, celui de l’ombre, celui de la nuit et des morts. Je n’ai pas peur du bleu, même très foncé. J’ai peur du rouge, celui du piment, celui du sang, celui qui pue la haine. Je n’ai pas peur du rose. J’ai peur du jaune. J’ai peur des hypocrites, on ne sait pas ce qu’ils pensent. Ils ne parlent pas clairement, se cachent derrière les doubles sens. Au lieu de jouer, ils tuent l’espérance. J’ai peur du gris. Celui de l’orage et de la pluie. J’ai peur du bruit. Violent . J’ai peur du silence. J’ai peur de la souffrance, la torture qu’elle impose à l’autre. J’ai peur de la douleur, sous toutes ses formes, même les plus petites. J’ai peur des rats qui transmettent la peste et des chiens que l’on dressent à mordre. J’ai peur des femmes. J’ai peur des bourreaux, des joueurs de rugby et de foot. Ma peur devrait pouvoir se limiter à cela, ne crois-tu pas? Et bien non, là où je m’habitue à elle, elle ne reste pas. J’ai peur de tout ce que je ne comprends pas.