L’eau nocturne d’une flaque

© Antoine d’Agata pour l’agence Magnum – d’après une phrase du livre de Louis-Ferdinand Céline « Voyage au bout de la nuit »: « C’est des hommes et d’eux seulement qu’il faut avoir peur, toujours. »

Quand il ferme les yeux il voit

un arbre les feuilles bruissent

il entend les cris de créatures

minuscules à la place du visage

un masque souriant d’où s’extirpe

un regard

pupilles brillantes telles l’eau nocturne

d’une flaque et il se demande pourquoi

du jour au lendemain son quotidien

a été gommé

a disparu

en même temps que la porte blindée de son appartement

que les fenêtres 

tant d’éclats sur le sol

pourquoi les écoles n’accueillent-elles plus que les vieillards

pourquoi les villes se sont-elles embourbées

il connaît la réponse mais il ne veut la formuler

depuis qu’il a vu son voisin transformé par la mort

en une brutale sèche et rocailleuse sculpture

rongée par la peur surprise par une douleur 

monumentale


On peut apprécier le travail d’Antoine d’Agata notamment sur sa page instagram.

Son travail sur la guerre d’Ukraine réussit à signifier l’horreur de la guerre. Images insoutenables, elles chassent le voyeurisme journalistique. Ceux qui sont morts et dont les cadavres pourrissent à l’air libre sont des hommes, des hommes. Que reste-t-il d’eux ici, là et ailleurs ?

hululement

Tyto alba (Audubon)

Jean-Jacques Audubon [Public domain], via Wikimedia Commons

La nuit venait de naître
quelques étoiles voulaient
se mirer dans la mer
le ciel violet volait
au dessus du jardin
quand brassant le silence
de ses grandes ailes
crémeuses une chouette effraie
me rappela que pour le mesurer
depuis bientôt quarante mille ans
le temps les hommes se servent
d’instruments qui permettent
parfois d’imiter avec une précision
qui arrache les larmes
un hululement.