Fléchir

©Bertrand Els

Tu tisses

Et puis te drapes de couleurs 

Qui en soies s’évaporent 

Il ne reste de toi que l’essentiel 

Sans nom 

©Bertrand Els

De la forêt dont est fait ton esprit

Galope d’essences en essences 

L’individuelle beauté

Invisible à l’œil fardé

L’oiseau de roche échappé de l’écume 

D’une vague

Frôle des ailes la canopée mentholée 

Tu files

Vois

©Bertrand Els

Quand il ferme les yeux il comprend

qu’il est habité par une mer intérieure

noire lourde veloutée

jamais les vagues ne dépassent la gorge

pour établir des mots sur une plage

jamais une formulation ne s’échoue

et le silence va d’un bout à l’autre de ses émotions

il pleure de longues heures jamais un sanglot

ne se perd en vol

dans le fond

cieux ensablés corrélations folles 

une voix interne parle en vagues

alterne ondes graves sinuosités glauques

une voix qui jamais de parle

n’aborde les mots 

comme des îlots

comme des armées à combattre

quand il ouvre les yeux il comprend

qu’un vitrail n’est pas une muraille

mais une porte ouverte à la

lumière 

Hier, la montagne

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Hier la montagne

flottait             dans le ciel et se déplaçait

vaisseau somptueux

aux rythmes lents
et souples des nuages

un peu d’écume dans les cheveux
et de glace dans les yeux

la montagne hier

était     de passage

son désir était-il vraiment
de partir

de disparaître

de vague en vague

hier la montagne

voulait apprivoiser les ombres
comme le jade

Aval

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Tiger Eye by Lindo derin

Tu observes la pluie
rythmer la lente dérobade du ciel
chaque larme découpe un peu de clarté
observer est tout ce qu’il te reste à faire
longtemps
déjà
que tu as compris que rien ne changera
ton statut d’ombre
est-ce toi qui patiemment as choisi cette couleur
de jais
avant que ne cesse complètement la première vague de pluie
comme une étoffe trop généreuse ne peut se contenter
d’être simplement le rideau qui cache la scène
tu t’en vas
voilà
la pluie a cessé de procréer
plus personne ne voit
ce que regardaient
tes yeux de jade.


Source image: lindo derin

Sommeil

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© Nan Goldin

La nuit mange
chacune des heures
où je ne trouve pas le sommeil

Le bovin digère
allongé sur la mer

chaque vague
reproduit le bruit
de la mâchoire
du ruminant

le chant des heures
fleuri par tant de secondes
immortelles
caresse l’échine
ou le cœur

calice où le sang
reproduit les battements
affolants du souvenir

au cœur toujours
il y a toi
ta voix
comme un pollen
que butinent les étoiles

Vague

Wave Art Black and White Cavern by johnphilpottsphotography

La nuit se regarde dans les reflets des lumières

du port. Elle se dit je reste là je ne pars pas

tremblante pourtant  elle se dirige vers moi

un rayon ondulant se plante comme une flèche d’argent

au centre de la béance flasque

cet encrier renversé

qui me sert de coeur.

Derrière son chevalet

La mer s’est laissée sculpter dans l’acier par la tempête. Elle se cabre. Ses lames broient, ses vagues cavalent.

Un essaim de nuages bourgeonne à l’horizon, s’empare du ciel en formant des tourbillons. Les plages sont résolues, elles se taisent. Ce ne sont pas quelques petits rochers jetés en offrande qui empêcheront l’affrontement.

Toutes les embarcations humaines sont emportées par le large, elles ressemblent à des plumes, à ces quelques feuilles mortes balayées par les vents gourmands de l’automne. La témérité de l’homme est soudain réduite à si peu de chose . Elle n’est plus ni dérisoire, ni absurde : elle ne pose déjà plus de question. C’est à peine, si elle existe.

Ce n’est pas l’homme que la mer affronte, si elle se dresse ainsi c’est pour révolutionner, transformer radicalement un état trop tranquille et trop paisible : celui de nos habitudes et de nos façons de concevoir le monde en le ponctuant de convenances intellectuelles et sociales.

Le ciel devient soudain plus intransigeant que la pierre, même si il permet à mon regard de s’enfuir par un coin de lumière. Même si je devine l’éclaircie prochaine derrière son masque de nuages affolés. Le ciel prend appui sur une réverbération, sur cette ligne où il rejoint la mer, si bien qu’on a l’impression qu’ensemble ils ne forment plus qu’un.

Une seule et même masse bourdonnante, s’empare de l’espace, fige le temps.

Les bleus, les ocres, les bruns et les blancs qui moussent à la crête des vagues et qui ne sont pas sans rappeler l’élan des oiseaux marins, sont appliqués au couteau. Les couleurs ne parlent plus que pour elles mêmes. En cherchant à révéler la puissance des éléments naturels, elles révèlent la puissance de leur propre matière. La vague envahit notre esprit, suspend un temps notre regard.

J’en viens à me demander si Courbet n’a pas trouvé en elle et en ce paysage qu’il voulait représenter dans sa pleine réalité, un prétexte pour nous révéler la révolution picturale qu’il souhaite. La vague est devenue le geste puissant et total, la main du peintre, chamboulant l’espace représenté par la toile.

On dirait que le seul geste ayant encore un sens, possédant la vigueur nécessaire pour affronter les tumultes de l’existence, soit le geste de l’artiste, son brassement des formes, des matières et des couleurs. Une vague envoûtée par une tempête pétrit la réalité avec sa représentation, transforme notre vision du monde et modifie notre espace mental. La peinture seule, comme une vague, peut bouleverser l’homme au point de lui offrir l’occasion de se surpasser.

Plus simplement, j’ai l’impression que Courbet veut me faire comprendre que l’Art est devenu l’unique moyen pour l’homme d’échapper à l’ engloutissement de son existence par les rouleaux du temps et ses lames de fond.

La position la plus sûre pour contenir les tempêtes est de toute évidence, celle que Courbet s’est choisie et qu’il nous offre brillamment : celle qui se trouve derrière son chevalet et lui permet de suspendre le temps.