
Ce n’est pas une feuille qui déplace
Frôlée par le vent
Sa silhouette sur le tronc et la hampe florale
L’ombre esquisse un vol et parle comme la pluie en se servant exclusivement de gouttes et d’espaces vides
Je regarde la mer
bourdonnement des oreilles
J’écoute une à une les vagues le froissement des feuillages
bourdonnement de mon cœur
sur le point de s’effondrer
bourdonnement au bord de la falaise
malaise de n’être rien qu’un être humain
bourdonnement dans mes veines
Un train s’échappe et comme toujours je le laisse faire
Jamais il n’embarque mon troupeau de phrases
un radeau dérive rongé par les vers
qu’on a écrit à son propos
l’homme qui en était à la tête
vient de la perdre il pleure c’est tout ce qu’il peut faire
un rideau se déchire s’est échappé par la fenêtre
un lambeau de tempête l’étoffe comportait
déjà plus de huit cent strophes
Le poème a disparu dans la nuit en glissant
sur le fleuve comme sur des souvenirs
le poème dénudé s’est enfin libéré de lui-même
Dans le pin un oiseau est en pleine conversation avec les aiguilles encore éclaboussées de lumière
je l’interromps
il me répond par cette question: Que sont ces cailloux qui se déplacent à quatre pattes?
L’oiseau serait-il un sphinx?
-Les tortues ne sont pas des cailloux
-Des pierres précieuses?
-sans aucun doute – je passe – l’astre fatigué vient de plonger dans la mer
la nuit ne va plus tarder – j’ai peur
L’oiseau ne montre pas son visage mais j’entends qu’il étire ses ailes
il lisse ses plumes et en laisse tomber une
comme une larme sur une partition
comme un pétale dévoué
je m’éloigne
soudain je n’ai plus d’ombre
je rejoins le banc dont l’assise est fendue par quelques têtes de coquelicots endormis
la nuit est devenue un nid où dorment les bruits
et d’où naissent les sphinx
Une hélice végétale imprime
à l’espace en moi sombre
un mouvement de fleur
noire qui s’échappe
une empreinte s’ancre
lentement dans ce monde liquide
sur lequel j’ai tellement peu d’emprise
elle serait comme le moteur principal
d’une idée arrêtée propulsée
vers des taches d’une blancheur
d’écume
Ce qui s’écrit n’est point
un cri de douleur
un champ de mots qui portent malheur
c’est moi hors de ce qui me représente
comme la bogue pleine d’épines
le fruit.
Quand il était assis, invariablement, il posait sur son genou droit sa main gauche comme un pansement. Pour apaiser subtilement la douleur, sans que personne ne s’en aperçoive. Depuis ses huit ans, elle s’était logée là, dans la jambe, comme un noyau noueux, comme une braise rougeoyante. Parfois, elle gagnait tout le corps, jamais totalement son esprit. Sa main douce, aux ongles parfaitement soignés et roses. Sa main n’était probablement pas en mesure à elle seule de réduire la blessure au silence, d’en masquer les effets. Elle suffisait par contre pour me faire comprendre qu’il est des maux dont on ne peut parler sans en raviver inutilement la vigueur dévastatrice. Le silence ouvrait comme une petite porte, un sas du quel pouvait s’échapper le surplus de tensions douloureuses.
Se tenir debout de longues minutes, marcher, courir, grimper, sauter, nager, plonger se faisaient malgré la douleur logée dans la jambe. Tout se décidait sans la consulter. Il ne boitait pas. Ne se plaignait jamais à son sujet.
Un jour, j’ai vu la trace qu’avaient laissée près de neuf opérations. L’anesthésie à l’époque avait parfois de pénibles effets qu’on ne maîtrisait pas. Souvent on se réveillait au mauvais moment ou l’on s’endormait pour ne se réveiller qu’encore plus malade, presque mort. Le médecin, mon grand-père avait donc plus d’une fois tenté de vaincre l’infection logée dans l’os de la jambe de son enfant.
La cicatrice ressemblait à un fossé, à une tranchée où soldats s’étaient violemment battus et où malgré une victoire traînait toujours comme des fantômes la lutte, la mort et l’absurde conviction que la victoire vaut ce prix.
Bien sûr, jamais il n’évoquait avec moi sa jambe, jamais il ne me racontait d’histoires à son sujet. Comment, il était tombé malade. Pourquoi la maladie avait choisi sa jambe. Ni de quelles manières, elle avait profondément gêné sa croissance, avait fait échouer son adolescence sur les immondes plages sombres de la dépression. Il avait vu en rêve revenir chaque soldat mort, chaque cellule, chaque goutte de sueur, de pus pour lui demander des comptes. Quel était le prix à payer? Je ne l’ai jamais su. Par contre, il m’a raconté comment un membre de la Guespo avait agrandi sa plaie de plusieurs coups de crosse de fusil pour qu’il parle. Pour qu’il se trahisse. Peu importe ce que vous avez à dire, ni même si vous avez quelque chose à trahir. Ce qui importe pour votre tortionnaire n’est ni votre capacité à résister, ni la rapidité avec laquelle vous céderez aux pressions. Au-delà d’une certaine limite bien vite dépassée plus rien ne compte, plus rien n’a de valeur, ni de signification pour le tortionnaire. Plus il abuse de violence, plus elle l’isole, plus il s’enivre. Que valent des aveux ainsi obtenus? Rien, l’abus violent n’a pour objectif que le mensonge.
Souvent, il m’invitait à m’asseoir près de lui. Peu importe que l’herbe soit humide ou rêche de sécheresse. Peu importe que la roche soit lisse douce et fraîche ou rugueuse et brûlante. Nous nous asseyions l’un près de l’autre pour regarder comment autour de nous la vie se tissait une toile.
la nuit n’a ni
visage ni mains
juste un corps et de vagues jambes
qui ne la portent presque pas
brune brumeuse elle bruit
déjà naissent les premières paroles du jour
un bus passe sans ralentir
la route noire luit
les arbres s’efforcent au silence
au loin l’air tremble
je me tiens là debout à peine
éveillée
le jeu inhérent au monde peut commencer
en même temps que le jour
je commence ma partie en le contemplant
pourquoi ne serait-il plus possible
de simplement admirer ce à quoi
je ne prête que des mots
peu m’importe qu’une voix
dans mon dos
répète qu’ils sont tous faux
le ciel est un pétale
la colline un fauve
la mer échange
brumes contre reflets et
ondes contre ondes
image: Bertrand Vanden Elsacker
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Ce serait comme une tache d’encre noire dont le corps souple et brillant soudain s’étire, bâille, montre ses griffes et se rendort. Tombant de la table, elle ferait le même bruit que le froufroutement des ailes de l’oiseau que le printemps assomme d’azur. Ensuite il ne resterait que le bruit du silence et la supposition que quelques pas ont permis à une ombre son évaporation complète.
Ce serait comme le balancement de l’astre entre les nuages, nausée de la lumière, tempête des sens. Ce serait comme le vain cliquetis de la pluie sur la vitre, tout ce qu’elle prétend ne me fera pas ouvrir la fenêtre.
Ce serait comme si plus rien n’empêcherait le mauvais temps de se substituer aux secondes que je consacre à le regarder.
Ce serait comme si sous le velours verdoyant des mousses et lichens se cachait mon cœur, bulbe minuscule. Ce serait comme si je n’avais plus de racines. Que sont devenues mes artères?
Aux sommets de la tige, l’intervalle d’une feuille orchestre sa répétition pétillante. Le soleil se plante partout où il trouve l’espace. Ses aiguilles voraces crient et creusent des rainures pour les ombres.
Les roseaux se froissent. Les feuilles, les tiges ont l’audace de former cette étoffe qui répond à la soif de l’ombre. Ici, le sol est presqu’aussi humide à midi qu’à l’aurore, qu’à la nuit. Les végétaux font de la haute voltige en donnant aux ombres le goût d’une forêt qui pleure l’automne en plein mois de juillet.
Les feuilles souples se diluent, s’épaississent, s’épuisent ou deviennent si tranchantes qu’en les cueillant on s’entaille la paume des mains. Je me souviens qu’enfant, ces bosquets humides livrés aux dents du soleil, dans leur résistance à vouloir à tout prix produire du frais pour mes pieds nus marchant sur les sentiers qu’ils dessinaient, m’effrayaient. Il faut dire que les roseaux avaient appris au vent à se servir de leurs corps pour construire des flûtes de pan et que les chants magiques s’emparaient de ma joie pour la rendre incompréhensiblement triste.
A travers des musiques dispersées par le vent, la voix des végétaux d’une une beauté lucide me révélait sa mesure. Elle n’était pas infinie comme je me le figurais mais précisément définie par un petit lambeau du temps qui bientôt s’évanouirait.