En friche

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Straw-colored Fruit Bat Eidolon Helvum, Ben Van Den Brink

Entre
ce venin
et
mes articulations
l’espace libre
laissé en friche aux secondes

chacune
comme un grain
grippe
mes mouvements
afin que je n’avance
jamais
souplement

des gonds rouillés
grincent
grondent
ponctuent
vagues
tornades
granuleuses
torsions

mes os sont toujours sur le point
de se réduire en poudre


Parfois par un soupirail
des lambeaux de souffrance s’échappent
Je les contemple
battre de l’aile


Parfois en rêve
j’échange mes chauves-souris
vampirisantes
contre
les quelques gouttes phosphorescentes
du crépuscule
afin que survienne la trêve

 

évolution

Benevolent Gift (detail) by Janis Miltenberger
Benevolent Gift (detail) by Janis Miltenberger

Je sens la solitude effleurer mes joues d’une larme

l’été cherche à prendre racine dans les bras morts de la rivière

les joncs frissonnent les arbres portent le ciel comme un enfant mort-né

les oiseaux remplissent l’espace de chants et de cris

le bourdonnement des insectes s’empare des parfums des fleurs des prairies

je sens comment les cœurs se froissent et se replient les uns sur les autres

en ne faisant presque plus de bruit

voilà que le mien nage dans les feuillages

mon amour dessine désormais une ombre sur le chemin

au milieu de tant d’autres

la conscience a les allures fantomatiques de la brume

un jour il ne restera plus rien d’elle

je veux choisir ce qui lui donnera des ailes

et l’envergure du condor

du haut de ma montagne je regarderai sans y toucher

les carcasses laissées par ces conquistadors

ces nouveaux Mao

dont les empires sont remplis de rues vides

et de gens qui ont faim.

Patience

Ton corps comme un nuage en fleur est allongé près du mien. De petits papillons aux ailes transparentes comme l’air le butinent fébrilement.

Ton rire, ton souffle, tes parfums forment des tiges et des enlacements plein de nuances.

Mon corps devient celui de la nuit et puis celui tout petit de l’arapède sur le rocher. Une invisible certitude nous lie l’une à l’autre. Nous échangeons nos plus précieux baisers comme des perles sacrées.

La lune et toi, partagez la même lumière, les mêmes silences, la même éternelle assurance.

En suspens

L’éveil me propose des ailes de papillon et le sommeil une écriture de mouche pour explorer les choses.

Je suis née entre deux mondes, à la lisière de l’un et au bord du cœur de l’autre.

Je ne peux résoudre

les silences

ni lire les émotions sur les visages

sorties de leurs contextes les expressions n’ont plus de significations,

les promesses n’ont pas de valeur.

La vie reste muette.

Fictif

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Je croyais qu’entre toi et moi

il ne restait pas qu’un espace vide,

que tu voyais que ma main

effleurait tes silences

t’attendait en retrait avec la patience

limpide et solide du cristal.

Les plumes légères de tes ailes

sont devenues des griffes,

elles ne protègent plus

tes sentiments fantomatiques

tu n’as plus de visage,

voilà que je l’efface facilement.

Sont nés de ton labyrinthe de non-dits

des vieilles rancunes,

des espoirs déchus.

Tu n’aimais plus que gouverner

mes heures.

Voyais-tu encore seulement que j’existais

à la manière des anges et que mes plumes

servaient à me décrire en transparence ?

À quelles paroles as-tu prêtées plus d’importance ?

La forme la plus simple d’aimer

est la sincérité.

Alors, je me suis envolée à tout jamais

sans éprouver le moindre regret de m’être gaspillée rien

que pour toi et cette île au trésor qui n’existe pas.

Je croyais vraiment que tu te consacrais à la construire.

Je ne suis plus une colère,

le fantôme qui tremble

de ne pas correspondre aux moules

dans lesquels je ne faisais que fondre

en larmes

comme les déchets d’échecs en échecs

de dépressions en dépressions.

Aujourd’hui

je monte et te démonte.

Je suis désormais si loin de toi

que je ne reviendrai pas.

Il n’y a plus de haies

nerveuses du piaillement

de moineaux qui se disputent

un morceau de faux printemps

ni de passants perdus

qui pourraient me parler

de celui que tu es

vraiment devenu

à côté de quelques cendres

et de ce magma noir qui a

tellement vieilli qu’il est devenu

dur.

T’es-tu seulement aperçu de ce que tu as perdu ?

Ta voix

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Je crois qu’il s’agit d’un nuage venu depuis derrière l’horizon. J’entends comme il déploie ses ailes semblables à celle de l’albatros hurleur. Mais c’est ta voix, onde profonde qui tombe solennellement sur moi comme les auréoles du soleil.

Agile, elle monte jusqu’à rayer les larmes et puis elle s’en va à pas de chat. Elle rebondit, danse et saute. Ta voix réchauffe l’air de ses origines masculines. On croit qu’elle sombre mais elle plane dans une même et seule caresse. Elle n’est ni rauque, ni fade, elle est grave et lucide.

Si j’osais regarder le ciel, je pourrais savoir qu’il ressemble à une perle ayant le même éclat presque dissipé de ta personne.

Tu n’oses pas porter ta voix parce qu’elle ne ressemble à aucune définition qu’on invente pour corrompre. Tu crois qu’elle se déforme, qu’elle te trahit laidement alors qu’elle pose tes phrases comme si elles n’avaient pas de poids alors qu’elles décrivent l’étrange chose invincible qui brille en toi.

Ta voix n’est pas une flétrissure, une porte qui claque, quelque chose qui se calque. Ta voix n’est pas celle d’un mort, ni celle de ce fantôme qui se répète à l’infini sans jamais entendre qu’à l’intérieur de lui il n’ y a qu’un simple puits.

Tu te punis, j’entends que parfois tu l’étires comme si elle n’était qu’un vulgaire élastique, que tu la promènes dans les rues glauques qui n’ont que les regards des avares et des charognes qu’ils dévorent.

Ta voix ne parle pas pour les autres, elle ne parle que pour toi des mélodies complexes que forme harmonieusement ton esprit depuis que tu es tout petit.

à B.

Talisman

C’est une pierre qui dort. On ne voit pas qu’en son sein scintille un univers à venir: pins aux aiguilles titillant joliment le ciel de votre esprit, rochers agrippant le regard de votre volonté, l’oiseau de vos souvenirs se posant sur une branche, ailes tendrement repliées comme s’il n’avait plus à s’envoler. C’est une pierre qui semble devoir vous révéler la puissance de vos rêves par rapport à l’irrévocable réalité de l’ordinaire.

On ne voit guère les remous somptueux de ses océans, on soupçonne à peine la souplesse de son opalescence et l’onctuosité limpide de ses reflets. On ignore tout de la souveraineté charnelle de son corps. C’est une pierre qui ne se révèle qu’à celui qui la choisit lentement. Elle est un végétal à l’état de bourgeon, son soleil est l’éternité.

C’est une pierre qui dure. Vos mains lui donneront des ailes lorsqu’elles se mettront au travail. Sortie du lit de la rivière, polie, elle nettoiera votre âme. Elle sait que les blancheurs laiteuses de ses phrases, petit à petit transformeront le regard que vous avez sur la vie.

Un jour


León Ferrari (Argentine, born 1920)
1962. Ink on paper, 26 x 18 7/8” (66 x 47.9 cm). Purchase.
© 2012 León Ferrari

Un jour, il ne me restera plus que des lignes comme de longs rubans tentaculaires pour me rattacher à cette partie du vide, l’alcôve blanche où se nichait mon existence. Mes souvenirs parcourront le temps à la manière des racines et des branches, avec l’unique envie d’étendre leur sphère. Mes poumons respireront la lumière et toujours l’écriture me servira de sève.

Un jour, je ne porterai plus le poids de ma naissance comme une tare, comme un aveuglement commun, comme un cortège de nœuds. Je n’aurai plus ce cœur de verre. Je ne serai plus une boîte fermée qu’il m’est impossible d’ouvrir.

Un jour, il ne restera que le vrombissement de mes ailes, le petit bruit de mon corps d’abeille butant contre l’invisible vitre qui l’empêche d’atteindre le soleil. Il ne restera que mon acharnement, desséché, inutile. Un demi gramme de poussière supplémentaire sur le bord de la fenêtre.

 ♥Léon ferrari