Vois

©Bertrand Els

Quand il ferme les yeux il comprend

qu’il est habité par une mer intérieure

noire lourde veloutée

jamais les vagues ne dépassent la gorge

pour établir des mots sur une plage

jamais une formulation ne s’échoue

et le silence va d’un bout à l’autre de ses émotions

il pleure de longues heures jamais un sanglot

ne se perd en vol

dans le fond

cieux ensablés corrélations folles 

une voix interne parle en vagues

alterne ondes graves sinuosités glauques

une voix qui jamais de parle

n’aborde les mots 

comme des îlots

comme des armées à combattre

quand il ouvre les yeux il comprend

qu’un vitrail n’est pas une muraille

mais une porte ouverte à la

lumière 

Une ombre

Le monde est une ombre et pour l’éclairer tu n’as que 

les mots d’un poème

dans lesquels tu ne te reconnais pas

une ombre épaissie pour l’élucider tu n’en as que l’idée

comme une rose du désert mi rage mi poussière

Une ombre et sa parole donnée à ce fantôme qui porte

le même nom que toi et

dans lequel tu peines à reconnaitre 

ce qu’il a de toi si ce n’est 

son coeur presque déjà froid et sa voix 

qui se délite au contact des lettres fébriles

K et O


source image: ici

Texture

tumblr_o0d44tDWfX1ubcbi3o1_1280.pngMon esprit passe son temps à

découdre le silence

à défaire la trame qui le relie

au temps

Tout se suspend un instant

l’infiniment petit bruit capturé

comme un fossile dans la roche

rejoint la voix qui le cherche

tumblr_o0d421T6C61ubcbi3o1_1280

Mon esprit passe d’un bruit à l’autre

et comprend que pour lui

seulement

ils prennent une texture

ils forment des phrases imprononçables

ils oscillent en permanence

de l’état de vie

à celui de mort

tumblr_o0d3z48nkg1ubcbi3o1_1280.png

Mon esprit finit

par construire

des abris

des pelures

des écorces

rugueuses et mortes

souples et vivifiantes

comme des sources qui n’ont encore

rien appris des routes, des lits, des ravins,

des puits

tumblr_o0d3wqXiBB1ubcbi3o1_1280.png-2

Quand enfin mon esprit estime avoir presque fini

il tremble comme le fil d’une toile d’araignée

ce qu’il gagne c’est à espérer

la goutte de rosée, la note de l’aube

à laquelle se suspend

l’éternité.

 


 

Images: Bertrand VD Elsacker

Distortions

Waterlily by Niklasphotose

Distorsions des voies que naviguent les paroles

échappées de cet endroit où telle une source

elles fabriquaient pour le silence un berceau de cristal

aux portes des fleurs sur les pétales blancs

l’alluvion laissé par mon songe

ébauche les vagues et l’étoffe d’un fleuve

il parcourt  les solitudes étouffantes

et elles ne se contentent pas

de rester habiter la vase

Au fond de moi l’épais murmure

il ne reste en surface que l’impression

inconsistante

l’étrange végétal se gavant de bruines

gagne l’espace

de l’émotion à laquelle il m’est si difficile de donner

un nom

que faire si soudain tout s’éteint

et que même ta voix n’éclaire plus rien

Découdre

Un bavardage meuble mes silences. On dirait des étourneaux prêts pour le rassemblement.Les sons grouillent comme une nuée affamée. ils s’agglutinent dans mon esprit pour former comme des caillots: les mots. Ensuite, ils s’éparpillent et je n’ai plus qu’à tenter de les suivre en marchant sur les graviers d’un sentier incertain. Parfois, ils peuvent me mener très loin. Me faire parler d’une langue qui n’existe pas encore. Tirer comme des élastiques les si précieuses secondes. Souvent, presque toujours, je me perds. Je ne sais quoi répondre à la question.

Ce matin, il s’est mis à hurler, sur moi. Je crois. Sans que je comprenne pourquoi. Le ton et le débit de sa voix ont suffi pour que je me sente vaincue, anéantie. Il, ce fut cette voix mâle, au bout de mon maigre bonjour, derrière ce guichet, devant cet écriteau où il était écrit :« ouvert ».

La voix humaine qui ne porte pas de visage, me bouleverse horriblement. Elle anéanti en un seul de ses pas la mienne, toute petite porcelaine. Les flots de paroles surgis de l’extérieur balayent d’un seul geste, tous ceux que j’avais tentés de rassembler. Ma pensée décousue s’envole alors au hasard. Du vent! De la poussière!

Il me faudra tout remodeler, continuellement, avec la même patience que le chercheur de perles, la faiseuse de dentelles, le potier. Ma phrase n’avait pas l’arrogance de l’argument, la brutalité de la certitude. Elle ne connaissait que le ruissellement de la mélancolie comme une pluie qu’on oublie. Pourquoi faut-il que je sois si hésitante?

Les sirènes

Entre le livre et moi, je prends soin de mettre le silence. L’unique parole est celle de la phrase qui se laisse couler au gré de mes regards, au bout de mes doigts. Ma nature est à ce point sensible qu’un cris la tue. Ma mère me gueulait dessus, quand elle n’avait pas encore assez bu. À chaque fois, ses cris me tuaient sans que je puisse leur accorder aucun sens. Quand elle en venait aux mains, déjà, je ne sentais plus rien. J’étais depuis longtemps mort. Elle me secouait en vain: «  vas-tu parler à la fin! »

Une voix humaine qui romprait mon silence, ce serait comme un étranger qui se glisserait dans mon lit qui rêverait mes rêves à ma place. Une voix humaine qui se mettrait à lire ce que je lis, serait le comble de l’horreur. Un violent viol de ma liberté. Hier, il m’est arrivé de poser le doigt de mon curseur par mégarde sur l’une de ces voix humaines liseuses de mauvaise fortune. Marcher sur une mine ou être touché par une bombe à fragmentation m’aurait fait le même effet. Depuis, sur tous ces blogs littéraires, je lis deux ou trois fois avant de cliquer sur les mots-liens. Il y a des fois, où il y a de quoi se flinguer. Une voix humaine? Je préfère les sirènes.