Prodigue toujours ta beauté sans compter ni parler. Tu te tais. Elle dit à ta place: je suis, puis en multiples sens retombe, tombe enfin sur chacun. Rainer Maria Rilke
La pluie picote dans les flaques se reflètent les petites poules d’eau douce Est-ce cela que le félin observe la transmutation d’une écriture lourde en gouttelettes d’or pur ou attend-il plus simplement comme moi que le temps cesse de grappiller de précieuses secondes
Le vent est un bouquet d’oiseaux si le chat capture une des fleurs d’un coup de patte et l’emporte et puis délicatement la pose sur un petit bout de terre nue et froide on voit qu’elle a des plumes d’un blanc perle et qu’elles se superposent à un rang de plumes brunes et noires ce corps sans voix se laisse fondre le bec n’est plus qu’un petit cône de paille à peine fendu Entre mes mains comme un nid il m’inspecte m’implore son ventre là où le coeur habite est d’un vert olive ou d’un gris poudré le volatile se serait baigné parmi les mousses et les lichens qui gravent les écorces toutes les plumes sont si petites qu’elles cachent mal les meurtrissures. Longtemps après je vois encore l’oeil briller la paupière lentement se plier.
Je n’ai jamais vraiment su distinguer les couleurs grises et vertes entre elles. Était-ce vraiment là l’endroit du coeur à l’instant je viens de le voir luire dans un morceau du ciel qui grince et crie
Tous les jours, quand le soleil est encore humide, la bergeronnette des ruisseaux picore l’invisible. Frôle les surfaces réfléchissantes de l’eau. Elle mange des étincelles jaunes et blanches, bleues et grises. Elle avance en oscillant son corps prolongé par les plumes incroyablement longues de sa queue. Un gouvernail qu’elle semble avoir du mal à gouverner par grand vent. Elle vole en bondissant d’une phrase à une autre reliant les bribes d’un silence en dessinant des arcs.
Comme il doit être difficile quand on possède au corps aussi fragile de soulever l’impitoyable orchestre symphonique de la vie. Les instruments à cordes ne sont pas forcément les plus agiles, les souffles sont multiples et les poings et les coudes ne répondent la plus part du temps qu’aux lourdes locomotives. La mécanique répète inlassablement ses habitudes, n’a pas l’ampleur pour agir autrement.
La bergeronnette, elle, elle dévie, devine qu’elle n’a pas forcément le choix. Les secondes s’évaporent mais les souvenirs sont toujours de plus en plus forts, de plus en plus épais et lourds. Chacun d’entre eux se démultiplie en pièces inutiles et perdues du puzzle qu’on s’efforce sans espoir d’y réussir à reconstituer.
Si l’on en possédait les morceaux intacts restitués chaque nuit aurait-on encore le besoin impératif d’écrire, d’annoter les bribes complétées d’un titre, préserver en elles un numéro magique, un chiffre mystérieux qui défriche jusqu’à la moindre parcelle embroussaillée des rêves, des histoires mobiles plus habiles à disparaître qu’à nous aider à cueillir une vérité?
Aller jusqu’au bout de moi sans
avoir même le droit de penser
y parvenir
là faire une pause s’assoir sans
plus voir ici
aucune jambe malade
regarder
comparer l’infini
gardé en mémoire
partout des voies ourlées par les vagues
dessinent aux
certitudes volcaniques du jeu qu’est la durée
des corps des visages de statue
aller les ailes devenues un fardeau
sur les chemins d’un retour
sans parvenir à joindre ses pas
à leurs empreintes
aller l’ombre entaillant l’espace qu’explore
inlassablement le soleil
Le chat s’était posé non loin de moi sous la tonnelle
afin de profiter d’un même brin d’air frais
alors que j’allais me mettre à écrire
est apparue calme décidée
une belette
comme pour marquer
entre l’exubérance affolée du jardin et la maison ouverte
un trait d’union
un trait vif d’une certitude
aiguisée
soudain le chat
la belette alors
a dessiné
un dernier trait
enchanté
entre le jardin et le ciel
entre ce que j’allais écrire et la réalité qui ne peut me rappelle-t-elle que s’échapper comme elle
le point final -mais serait-ce le dernier- je le pose comme un chat endormi
aux abords d’un rêve plus vrai que nature les souvenirs le soulignent et l’encerclent
avec de plus en plus d’insistance
petits yeux de jais fourrure de feu et de neige est-il possible que
l’animal
ait jamais eu l’intention de se défendre au lieu de fuir dans une faille entre deux rochers
Dans la baie de mon bras, la nuit est un chat. Pas encore noire, elle luit, bleuit, éclate, effleure, ronronne. La fourrure féline montre les formes sombres des rayures ou les déclinaisons magiques de taches presque rondes comme les astres. La nuit a des griffes rétractiles et une langue rose. Quand elle marche, elle ne fait pas le moindre bruit et parfois elle ose montrer l’endroit de son ventre où elle est blanche. La nuit apprivoise la patience en la reconnaissant du bout de la moustache tendue vers l’espace comme le pistil d’une fleur odorante.
La nuit morceau souple et soyeux de l’infini me regarde et me file un coup de patte si jamais je me penche plein de larmes vers son épaule. Son regard est celui de qui se nourrit de comètes et des miettes que laissent les étoiles derrière elles quand on croit qu’elles s’attrapent comme des souris.