
Tous les jours, quand le soleil est encore humide, la bergeronnette des ruisseaux picore l’invisible. Frôle les surfaces réfléchissantes de l’eau. Elle mange des étincelles jaunes et blanches, bleues et grises. Elle avance en oscillant son corps prolongé par les plumes incroyablement longues de sa queue. Un gouvernail qu’elle semble avoir du mal à gouverner par grand vent. Elle vole en bondissant d’une phrase à une autre reliant les bribes d’un silence en dessinant des arcs.
Comme il doit être difficile quand on possède au corps aussi fragile de soulever l’impitoyable orchestre symphonique de la vie. Les instruments à cordes ne sont pas forcément les plus agiles, les souffles sont multiples et les poings et les coudes ne répondent la plus part du temps qu’aux lourdes locomotives. La mécanique répète inlassablement ses habitudes, n’a pas l’ampleur pour agir autrement.
La bergeronnette, elle, elle dévie, devine qu’elle n’a pas forcément le choix. Les secondes s’évaporent mais les souvenirs sont toujours de plus en plus forts, de plus en plus épais et lourds. Chacun d’entre eux se démultiplie en pièces inutiles et perdues du puzzle qu’on s’efforce sans espoir d’y réussir à reconstituer.
Si l’on en possédait les morceaux intacts restitués chaque nuit aurait-on encore le besoin impératif d’écrire, d’annoter les bribes complétées d’un titre, préserver en elles un numéro magique, un chiffre mystérieux qui défriche jusqu’à la moindre parcelle embroussaillée des rêves, des histoires mobiles plus habiles à disparaître qu’à nous aider à cueillir une vérité?