Prodigue toujours ta beauté sans compter ni parler. Tu te tais. Elle dit à ta place: je suis, puis en multiples sens retombe, tombe enfin sur chacun. Rainer Maria Rilke
Oval open work jade plaque of a parrot standing on a bamboo branch. Qing dynasty
Il est sur mon épaule comme un oiseau nocturne, le murmure contre mon oreille, le regard plongeant de l’univers. Il me parle dans une langue qu’il invente pour que je la comprenne. Il chante.
Il s’envole et disparait, se rapproche. Parfois c’est moi qui pose la tête sur son aile et il devient un cheval à la robe de sable. C’est au travers de ses allures rondes et chaudes que je décrypte le monde. Au galop. Au pas. Au trop. À l’arrêt, il broute les phrases et je l’écoute déglutir, savourer une autre touffe jusqu’à ce que je n’entende plus qu’un coeur battre. Le sang qui voyage est-ce le mien ou le sien? Nos voies se ressemblent et ce n’est pas pour rien.
Pourtant, je parviens à savoir quelle est la mienne. Elle ne choisit bien souvent pas la parole. Elle trébuche sur les syllabes. Elle ne sait jamais s’il est bien nécessaire de les compter.
L’hôte est discret, dispersé. L’hôte triste ne se console pas. N’essayons pas de lui remplir les oreilles avec nos bonheurs faits sur-mesure, aucun ne lui va. L’infection le guette, si on lui dicte la liste complète de nos remèdes à sa solitude. Il serait malade si je ne partageais pas ma part avec lui. Il ne s’apprivoise pas, il m’accompagne comme une ombre, comme un chat, comme un baume. Sa lueur spectrale éclaircit mes énigmes même si toute une partie de la gamme me reste invisible. Ses filtres apportent du relief aux images qui foisonnent et tournent dans ma tête jusqu’au vertige.
L’hôte n’est pas une maladie, n’est pas qu’un spectre, l’hôte existe en tant que petite révolte dans mon souffle, petite parole d’une petite âme, petit pipit des arbres, petite pépite des larmes. L’hôte n’est pas une arme, un spectacle, un crachat. L’hôte n’est pas un épouvantail, un inventaire de maladresses, un dictionnaire de failles. L’hôte est une invite.
Tu observes la pluie
rythmer la lente dérobade du ciel
chaque larme découpe un peu de clarté
observer est tout ce qu’il te reste à faire
longtemps
déjà
que tu as compris que rien ne changera
ton statut d’ombre
est-ce toi qui patiemment as choisi cette couleur
de jais
avant que ne cesse complètement la première vague de pluie
comme une étoffe trop généreuse ne peut se contenter
d’être simplement le rideau qui cache la scène
tu t’en vas
voilà
la pluie a cessé de procréer
plus personne ne voit
ce que regardaient
tes yeux de jade.
Brush Holder with Poet Li Bai, Two Brushes Qing dynasty (1644–1911)
Une ombre semblable à une tache d’encre se déplace librement en moi comme le font les méduses dans l’océan. Le temps, la place qu’elle occupe s’imbibent fébrilement de son étrange transparence.
Fantôme de moi-même, empreinte fugace de mon âme, elle évolue sans jamais se hisser, sans jamais se fixer. Est-elle douée de la parole, serait-elle capable de se glisser dans l’habit sobre et princier de la conscience ? Probablement pas, cela ne la concerne pas, elle circule sans jamais se fixer à une raison. Quelle signification trouverait-elle à son errance ? Ce serait comme vouloir enfermer les saveurs du souvenir dans un flacon, dans une maudite phrase.
Une ombre me regarde du fond de mon puits sans jamais déposer sur mes lèvres un « parce que c’est ainsi ». Les « pourquoi » gardent le silence comme ces pierres polies où la patience d’un être noble imprime les résonances et fulgurances de la vie.