Seulement le ciel

Seulement le ciel 

Qui ne porte pas de nom 

Mais que porte la mer en elle

Seulement le silence immobile 

La nuance

La longue histoire de la langue 

Qui ne porte en elle pas de nom

Mais que porte le symbole 

L’objet et son âme l’haleine 

Passe de brume à nuage

De nuage à colline à ruisseau à cheval

À l’horizon une nouvelle aube

La nuit dénudée la lune sortie de sa bogue 

Verte

Le beau ténébreux

Sur l’un des troncs une ombre s’allonge 

Le jour décroît la nuit s’avance de quelques pas

Une branche étire quelques fibres de soleil

griffes et dents carnassières

L’arbre abrite une panthère 

Le vent feule les frondaisons flambent 

L’écorce se crispe serait-ce le chat 

Qui aiguise ses griffes 

L’embrasement de la nuit en chaque reflet d’étoile naît de la morsure du fauve

sa robe telle une coulée de lave froide

Sans titre

L’unique photographie de mon aïeul se délite. Le temps crispe la fine pellicule sensible. Elle se fendille et se déchire par endroits. Ce lointain cousin dort habillé de sa plus belle chemise dans un lit de roi. Draps blancs, frais et propres. Son visage est celui que l’on redécouvre dans les peintures de nos peintres Flamants. L’ovale de la tête est habité par un léger sourire, paisibles sont ses paupières à peine refermées. Endormi pour toujours par cette photographie qui laisse pourtant espérer que l’enfant allongé sur ce lit à chaque instant va se réveiller.

Cet enfant dort à jamais dans les nuages essayait-on de me faire croire alors que j’interrogeais mes parents. Pourquoi avait-on choisi de ne garder de lui que ce sommeil qui portait encore les traces de la maladie, de ses fièvres et de ses accalmies trop brèves? Pourquoi cette photographie après-coup, une fois la vie évaporée? Pourquoi garder de l’enfant ce portrait qui le contamine à jamais comme si personne ne s’était intéressé à lui quand il vivait, comme si seule sa maladie, sa souffrance avait permis qu’il existe aux regards de ses parents, comme si on n’avait pas pris le temps de l’aimer ou comme si le temps d’avant la maladie, d’avant la mort n’avait jamais vraiment existé.

Mon cousin, un petit prince blond attend encore qu’on vienne lui baiser le front. Il attend la caresse, la main de sa mère, la douce histoire racontée par la voix de son père. Il attend les rires, les confidences farfelues de ses frères. Mon cousin continue de dormir dans le caveau familial aux pieds de l’église dont la tour a pris feu pendant la guerre. Derrière le mur au loin, à perte de vue des terres noires, des terres froides où l’on découvre encore quand on la laboure parmi les tubercules des éclats d’obus, des bombes qui n’ont pas voulu exploser.

Il dort. Pourtant de nombreuses fois, je l’ai entendu rire, appeler mon prénom ou me dire combien mes dessins de chevaux l’amusaient. Tant de fois, regardant mon visage dans un miroir, j’ai vu le sien tellement pâle, le regard bleuté comme celui des sources. J’ai senti sa main dans la mienne, son souffle dans mon dos comme me propulsant vers la vie. Quand j’entendais au loin la vie qui s’échappait dans le bruit d’un train que je ne pouvais prendre, que j’avais manqué, il me rassurait en me disant qu’un jour moi aussi je serais libre. Je prendrais ce train-là ou un autre. Quand mes articulations me faisaient souffrir, quand mes os se laissaient broyer, quand ma peur m’empêchait de pleurer, il était là, mon aïeul, comme un fantôme. Si je peinais à lire, à apprendre, à retenir, il me montrait comment toutes ses théories se tenaient entre elles ou se démontaient. Il s’appliquait à rendre concret ce qui me paraissait abstrait. Mon aïeul était parfois un simple reflet, une zone floue quand on ouvre à peine les yeux et que l’on regarde le monde, sa lumière au travers du filtre des cils. J’apercevais l’infiniment petit se miroitant dans un jet de lumière poudreuse. 

Hier, la lune était blanche, lumineuse et froide. Le ciel avait refusé de noircir, de s’assombrir, de s’endormir. Les nuages à peine bleus, immobiles masquaient les étoiles comme si ce n’était pas vraiment la nuit. Ils cherchaient à représenter des personnages, plusieurs semblaient se pencher vers le corps d’un malade alité. Certains caressaient le visage, d’autres semblaient murmurer quelques paroles rassurantes malgré le fait certain que le malade vivait ses derniers instants. Personne ne voulait définitivement prendre congé. La scène jouée par les nuages n’avait rien de triste, de rugueux car le théâtre était somptueux. Bleu. La mer asseyait ses vagues dans les gradins. On devinait que les Belles portaient des perles comme des larmes.  


Sur l’autre rive

9053a9dad5ad32eef289e057cc2375d2
©Camille Jacobs : Personnages

Pour joindre les deux rives du torrent, il faut emprunter une passerelle qui se balance au rythme de vos pas et tremble presque aussi fort que vos bras quand ils agrippent les cordages qui servent à vous retenir.

Arrivée au milieu, je m’arrête et la passerelle se stabilise. Je regarde l’eau veloutée glisser sur les galets, franchir de plus gros rochers avec une force qui la fait bouillonner. Son effervescence va du blanc crémeux au turquoise vaporeux.

Sur l’autre rive, un sentier escarpé serpente entre les arbres géants qui s’agrippent aux versants des montagnes. Partout, on entend le torrent. Couler dans ces gorges amplifie considérablement son chant, son haleine fraîche et humide nourrit une végétation de mousses et de fougères. Les troncs morts que les vers façonnent avant de les moudre lentement surgissent à la manière des châtaignes s’écartant de leur bogue d’épines vertes. Je le suis le sentier serti de feuilles vertes et brunes. Quelques flocons de lumière tombent çà et là.

Longtemps, je cherche le sommet. Un homo sapiens a cru bon de marquer son passage en posant sur un tronc couché un galet ne lui appartenant pas. D’autres hominidés ont reproduit ce geste sans réfléchir à son impact, à sa sinistre signification. La montagne n’appartient qu’à elle-même, elle tolère mon passage. Elle est défigurée par chacun de mes gestes qui ne la respecte pas. Elle se tait si je marche bruyamment, elle se cabre si je veux la soumettre. Je rends à la montagne quelques uns de ses galets, les galops de ses petites choses me font rire. Une joie enfantine me suggère de libérer toutes les pierres encore prisonnières. J’étais seule, la solitude était l’un de mes bagages. Lourde et angoissante, elle ne cessait de montrer du doigt mon extravagance: se promener seule, ici.

Désormais, la voix en moi chantonne, s’écoule fébrilement comme si elle revenait d’un de ses trous de lumière. Le sentier ne révèle rien de la véritable structure de la montagne, il est comme une entaille, une petite plaie qui saigne. Soudain, j’aperçois dans l’embrasure des branches à quelques mètres seulement de moi, le dernier geste fulgurant d’un arbre. Foudroyé, nu, il fige et rend hommage à l’éphémère coup de fouet qui lui a ôté toute chance de fleurir à nouveau. Il est devenu un signe, une calligraphie magique de l’orage, le symbole de tous les autres arbres.

Je comprends qu’entre le sommet et moi, il n’y a pas que l’arbre et sa sculpture. La paroi rocheuse est abrupte et glissante. La neige en train de fondre, la pluie abondante ont laissé de géantes empreintes noires, quelque chose est encore en train de s’écrire.

La nuit s’approche, son ombre occupe déjà la plus grande surface du versant de la montagne d’en face que je découvre pour la première fois dans sa globalité. On dirait la puissante encolure d’un taureau de combat. Sa robe luit, bientôt elle sera noire avec seulement quelques reflets verdoyants. Elle fume comme après l’effort. Je décide de redescendre.

Je n’entends plus le torrent, j’ai dû terriblement m’éloigner. Emprunter le sentier qui plonge vers la vallée est aussi la solution qu’a choisi un jeune ruisseau, celui-là même qui dessinait sur la roche de grandes fleurs d’encre noire. Il n’hésite pas à sauter dans le vide pour rejoindre plus bas ce qui deviendra son lit. Sur un rocher la mousse à peine réveillée par cette pluie de ruisseau remue ses petits doigts. Quelques gouttes perlent dans le nombril de Venus encore endormi face à la lumière blanche du ciel.

Le petit ruisseau a retrouvé l’un de ses cousins. Ensemble, ils décident de descendre encore plus vite de la montagne. On leur a parlé de la mer et de ses miracles bleus, de ses saveurs, de ses chants, de ses algues transparentes, de ses allées-venues entre le ciel et l’espoir. Je ne peux plus les suivre. Leur voyage n’est pas le mien, j’ôte mes bottines et traverse le lit rempli de galets glissants. L’eau est glacée.

Plus loin, alors que je me croyais seule, j’entends le rugissement d’un autre torrent. Je reconnais sa voix. Il s’agit de celui que j’ai contemplé depuis la passerelle. Je suis presque arrivée. Hélas, à cet endroit, il est beaucoup plus large, plus lourd, plus dur. D’énormes monolithes le transpercent et la passerelle a disparu. À nouveau, je décide d’entamer une traversée.

Ma décision est une de celles que l’on regrette car sur plusieurs mètres, je me fais emporter. Très vite, parce que l’eau est aussi vive que glacée, je n’ai plus la force de résister. Je ne vaux guère plus qu’une brindille. Par pitié sans doute, la rivière décide de m’offrir une chance. Elle ne tient pas je pense, à entendre plus longtemps mes cris angoissés. Elle m’abandonne sur l’une de ses rives. Des ronces ont agrippé mes vêtements. J’ai si froid et pourtant je ne sens sur tout mon corps qu’une seule brûlure. Il faut que je me lève, que je gagne le refuge avant la nuit.

Je retrouve un chemin. Un écriteau annonce quatre heures de marche avant le prochain relais mais comme il gît à moitié détruit sur le sol, la direction qu’il donne n’est peut-être pas la bonne. De toute façon, le torrent m’a tout pris, le peu de force qu’il me restait aussi. Je n’ai plus quatre heures devant moi. Mes vêtements sont trempés, j’ai mal. Je n’ose retirer mes bottines persuadée que mes chevilles se disloqueront. Pourtant quelque chose au fond de moi, une voix sauvage me somme d’avancer en longeant le torrent. La nuit est entrée dans la forêt. Le chemin ne cesse de s’élargir et devient plus facile à suivre.

Soudain, à quelques centaines de mètres, j’aperçois un banc. Un banc et une ombre qui s’avance et puis retourne sur ses pas. Une ombre et puis plusieurs qui me regardent. Elles se mettent à japper, les pleurs sont de tous petits rires. J’étais donc suivie. La force qui m’a poussée jusqu’ici, c’est donc cela. La sensation d’appartenir à la vie, découvrir que la vie n’a que faire de moi. Que je suis bien moins qu’un des cailloux que je rendais à la colline. Je n’ai même pas la joie de la pluie, la spontanéité de la neige lorsqu’elle retrouve sa transparence. Je ne suis qu’une proie d’une ridicule arrogance. C’est certain, je n’appartiens pas à la meute de loups qui m’attend là-bas. Je ne suis plus des leurs, je me suis égarée. Je resterai dans la forêt, le coeur pétrifié, les yeux comme des agates, le corps semblable au serpent qui rampe entre les branches.

Correspondre

@hardcorepunkbf

Le jardin correspond avec quelqu’un que personne ne regarde. Ce fantôme a besoin de peu de chose pour poser la voix qui fait frissonner par ses silences les feuilles lourdes de la torpeur.

Que comprendre des mots qui se retiennent de tomber là où poussent les humains mais se récoltent à foison dans les flaques dont la surface sert de miroir à tous les visages de la mer?

La pluie, petite poule blanc neige picore des graines invisibles. Parmi elles, il doit bien y avoir quelque perle, quelque promesse oubliée et quelques unes de mes larmes anciennes.

En silence

23164279_127357787980279_4885643883247042560_n
Bertrand Els @hardcorepunkbf

Dehors
le vent la pluie
la nuit
ont fait disparaitre
la colline la mer
le ciel
se froissent et soupirent
s’extirpent
des ombres qui les aspirent
le ciel a peur
de ses fantômes
de leurs cris
de la disparition

ici mon cœur
redoute
de se faire entendre
marche
comme un chat
sourd se suspend
à la branche qui fait de lui
un bourgeon
en silence

S’écrire

tumblr_osgtjkyXOE1v6jft8o1_1280
Bertand Els via https://elsacker.tumblr.com/post/162509606291

J’entre en cet endroit où
Néant Vide Silence
s’élancent sans trouver le moindre sens
le mot se laisse remplacer par la feuille
ses dents sa chair mangent la lumière
pour tordre l’univers seulement des branches
aux gestes involontaires
elles ne dirigent aucun orchestre
seul mon esprit rampe et cherche une voie
où pourra serpenter mon rêve et penser que
le venin d’une morsure se mue en sève

À peine visible

Capture d_écran 2017-07-12 à 13.36.18
©Bertelsac via https://www.instagram.com/bertelsac/?hl=fr

Je lis à l’ombre, près du mur qui à la nuit tombée se constelle de geckos. Entre et puis disparaît dans une fente du bois de la table, une abeille. Son corps délicat, son vol auréolé lorsqu’il s’approche de l’endroit me fait oublier le dard. D’ailleurs, l’animal ne se préoccupe nullement de cette statue de sel scellée à un fauteuil, un livre à la main.

J’ignore si elles sont plusieurs à s’infiltrer dans cette mince ouverture. Il me semble qu’affairée ce soit toujours la même qui éternellement découvre, rêve, sommeille, part et puis revient.
L’entrée est à peine visible mais le monde au quel je n’ai pas accès ne peut que se construire dans l’espace où rêve et imagination battissent des galeries, des alvéoles infinies en si peu de temps que l’on croit cela impossible.
La chose est établie, une abeille a découvert ce qu’hélas ne cherche plus aucun humain, une faille, une ride, un début sans fin.

Embrumé

GAO XINGJIAN 高行健 Moonlight 2014 / Au Clair de la Lune, 2014 Chinese ink on paper 35 3/5 × 37 in 90.5 × 94 cm
GAO XINGJIAN 高行健
Moonlight 2014 / Au Clair de la Lune, 2014
Chinese ink on paper
35 3/5 × 37 in
90.5 × 94 cm

 

Avant de gagner la mer, la brume se repose sur les épaules des collines. Elle reprend des forces, s’enfle comme un énorme bourgeon jusqu’à changer de couleur. Parfois, elle se retire et choisi d’envahir l’autre versant du monde, celui que peuplent les forêts, les roches et leurs fines fontaines de dentelles blanches. Elle finit par se perdre ou par perler sur les herbes, les mousses ou les petites plumes argentées des buissons.

Le soir, je crois qu’assis sur le plus culminant des rochers, tu me regardes et m’attends depuis des années. À force de regarder ta silhouette se découper dans l’azur comme le vol d’un oiseau éperdu de hauteurs, mes yeux se mettent à briller et à presque pleurer. Finalement, je comprends que ton ombre si décidée est un buisson fulgurant que le vent a sculpté.

Le vent descend souvent de la montagne en se laissant glisser lentement, titillant à peine les centaines d’oliviers de la plaine et puis regagne le ciel dans un seul et même mouvement à la manière d’un cétacé qui soudain s’engouffre dans les cerceaux de bulles qu’il a lui-même dessiné. Alors, subtilement quelque chose qui s’apparente au silence reprend sa place à côté de mes organes vitaux, comme un fantôme, comme le souffle d’un mort, comme pour me faire comprendre à quoi ressemble la réalité. Réalité raisonnable à laquelle on donne le nom de « devoir », de « responsabilité » comme si assumer sa part toujours plus vaste de silence, de solitude face à la nature qui culmine au bout de chacun des regards, comme si « être dans la lune » n’était véritablement qu’une fuite en avant.

Parfois je pense que ceux qui ne rêvent pas, ceux que le silence n’hante jamais sont des irresponsables. Parfois je crois que le silence est la part la plus dense et la plus difficile à porter. Une motte de terre noire, les tripes de l’univers, j’aimerais toujours être en état de savoir ce qu’il faut en faire.

Parfois je sens que le silence est un champ de fleurs sauvages, les racines, les tiges, les corolles, les pistils se chargent de le retenir, de lui donner de la contenance  car comme le sable des dunes, le silence toujours s’échappe, s’évapore entre deux mots, deux cris.

Enregistrer