Orbe

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D’un même nuage mais

de façon aléatoire tombent 

des larmes sur l’eau l’onde

d’une répond à l’onde de l’autre la 

frôle et disparaît sur la terre

ferme et sèche naissent des

cratères sur la roche un cliquetis

dont le bruit ressemble à celui

que fait le sabot d’un cabri 

larmes et grains de riz évaporent

parfois les pétales jaunes d’une rose

un papillon fuit la mort  

L’érable lisse du Japon

Dans la cour intérieure se défait de ses feuilles les plus rougeoyantes

Il pleure ou je pleure 

Difficile à dire 

Quelle est celle qui tremble sur ce lit si blanc 

Ma sœur 

Et son cœur qui se noie dans son propre galop affolé 

Le souffle court et le soupir si long

La main qui demande la parole mais ne peut plus la prendre 

L’esprit qui espère un répit 

Mais rien n’est accordé 

Aucun instrument ne chante 

juste

ma soeur

à la frange de l’enfer

les poumons en fleur se fanent

le corps devenu poreux tente le geste

toujours le même pour se défaire du respirateur

ou saluer à la manière des colombes

l’esprit bout d’une nième tempête 

Rimbaud rêveur va loin, bien loin.

Voies

Cette étoffe lente
de velours noir c’est la rivière qui erre dans les bras de la forêt

L’eau sans remous semble s’alourdir en plein d’endroits

les poissons engourdis se laissent caresser par la vase froide

une voix lance un appel à la solitude et elle lui répond comme le font les cascades
les gorges sont pleines de noms élargissant les possibles

une famille de chants réchauffe la brume lui dénoue la chevelure
renoue des amitiés fortifie les sensations

au-dessus de la rivière infranchissable la meute vient de construire un passage
chaque membre de la troupe l’emprunte en suivant les pas de
la louve alfa

Ciels bleus

©cc

Le rocher a fixé à jamais le bouillonnement de sa naissance.
On pourrait s’imaginer qu’il figure les plis d’une vague, les remous d’une tempête.
Cet éclaboussement avec le temps s’est très peu laissé éroder:
ses lignes sont souples, ses profils changent. 

La lumière lui permet d’évoluer, d’écrire ce qu’il veut.

Parfois, il décrit une baie, le sable, la vallée et explique avec lenteur
que le ciel bleu est aussi malléable que la mie du pain chaud sortant d’un four.

Quand le monticole bleu se pose sur l’effervescence la plus fortement formulée,
le rocher soudain fait silence
le profil à lui seul témoigne de ce que s’est d’être un oiseau.

Mieux que n’importe quel chant, sifflement, paroles, le mot solitaire
qui désigne sa personne n’existe pas
Cela,
le rocher le sait fort bien.

Morse


© Marisa Ramírez / Rieko koga

La nuit, les limaces tracent des cartes. Routes en pointillés et frontières de double épaisseur à peine visibles à l’oeil nu. Mais les lignes sont bien là, gluantes. Elles semblent désigner les trajets précis de la brûlure qui hante l’espace entre mes articulations. Les limaces vont là lentement où l’os est assoiffé. Il n’est pas rare qu’elles empruntent la voie des nerfs. 

J’ai vu des feuilles dont la transparence laissait voir avec une précision hypnotisante la pureté du dessin d’une fleur improbable. Les pétales réunis par un coeur d’où déborde un faisceau de pistils. 

J’ai apprivoisé une colonie de fourmis noires. Mots en morse pour décider d’un passage. Entre les lignes, au-delà des points, des fourmis blanches pour un silence qui suffoque. Il est maigre, le filet, ténu son courant de petite source. Effleurer la feuille pourtant suffit amplement à libérer un parfum. 

Ancre

Du haut d’une colline je laisse tomber mon coeur

comme une fleur dont la racine s’est noyée dans les froideurs de la terre

incroyablement indociles ses tentacules l’agrippent au vide

ainsi mon coeur rebondit et heurte le néant sans s’épuiser

je songe qu’il est tout aussi nu et incohérent que le monde

vers lequel je l’élance mon coeur cette ancre outremer

Laie

Le jour quitte le jardin en se dirigeant vers la mer. Il traverse le maquis alors que le soleil une dernière fois, redessine les contours des fleurs. Certaines sont plus lumineuses qu’en plein après-midi. Les roses ont des pétales de glace. Il est temps de rappeler le petit chat.

Il est sur le muret. Songeur, comme le sont si souvent les félins. Patient, attentif, il fait semblant de n’avoir pas entendu mon appel. L’observer de loin, me permet de m’initier à son petit monde, d’en apprécier l’aspect sauvage et des détails qui m’échapperaient probablement car quand il répond à ma présence, il n’est pas le même chat. 

Derrière le muret, dans le maquis, les buissons de myrte et de ciste tremblent de la racine à la dernière feuille sur le point de plonger vers la nuit, d’une manière étrange et qui ne leur ressemble pas. Je m’approche et vois, ce que le chat observe depuis de longues secondes: une laie et ses marcassins. Elle laboure la terre à la recherche de nourriture. 

Il y a des mois que je cherche à m’approcher de cet animal dont j’avais remarqué les empreintes dans la forêt de pins et d’eucalyptus. Là, elle n’est plus qu’à quelques mètres de moi. Imposante, fabuleuse, elle pose sur moi son regard de fruit d’automne, brun et brillant, presque doux. Ni elle, ni moi, ne songeons à la peur, à la fuite. La curiosité suspend le temps. Pourtant, j’acquiers le sentiment qu’une pareille opportunité ne me sera pas offerte une seconde fois. J’aimerais fixer la brillance de ses soies malgré la pénombre, la force limpide de sa nuque, le calme qui se détache de cet être qui me fait savoir que rien ne l’apprivoise, que rien ne peut mettre fin à sa détermination, à son courage. Pourquoi se donne-t-elle ainsi à mon regard? J’ai du mal à admettre qu’il s’agit d’un des fruits du hasard. Ce genre d’animal est au dessus, au-delà de ce que je pourrais prendre comme un présage. Mon esprit n’a pas envie de tracer des frontières infranchissables entre ce que je vois, ressens et pressens et ce qu’on dit exister seulement dans mon imagination. Je sais parfaitement quand elle déborde et c’est durant ces moments que je me sens le plus proche de l’existence. Qu’importe si cette existence n’adopte pas les lois naturellement admises et permise par le monde des humains tristes qui m’entourent carabines à l’épaule. Le poids d’une arme ne pèse jamais sur leur conscience.

Cette rencontre furtive, inattendue et presque improbable me conforte dans ces idées de partages des lieux, des époques avec de multiples réalités qu’il ne m’est parfois permis que de supposer. Mes rêves existent. La laie vit là, juste à côté de moi, si je ne peux faire le choix de la voir, je peux faire celui de la savoir. 

L’épine du pied

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Doubt it, Cynthia Grow Source: instagram.com

je me suis placée à l’extrême bout d’un papier déchiré

et j’ai regardé droit devant moi l’île en faire autant

chaque partie d’elle même voulait intensément la mer

non pas dans les petits morceaux de ses vagues

dans une perdition d’écumes caressantes et d’aubes naissantes

de là, je suis partie vers l’écriture menacée sans sentir sur mon désir la moindre menace d’un réel prédigéré

au rythme du mot naissant sous mes pas de crayon promeneur envahi de silence et du bruit que fait un grain de poussière caressant un autre grain de poussière à la recherche d’un autre lui-même,

à ce rythme-là et non pas à celui qui mesure malgré lui, j’ai parcouru l’île.

Morceau arraché à un tout de la blancheur par un geste qui défait insatisfait ce qu’il vient d’unir presque malgré lui.

il me reste à présent à le relire à moins que définitivement je décide de l’oublier entre les pages d’un livre.

Un cheval

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A Roman bronze horse. Circa 1st-2nd Century A.D.

La lune est un cheval
porté au pas
elle allonge l’ encolure
et laisse ses lèvres effleurer
le ruisseau
l’eau se ride et forme des anneaux
autour des naseaux
la lune respire et broute
les touffes brûlantes de quelques
reflets d’étoiles
à chaque mot correspond l’écho d’une vague
le bruit que fait un sabot quand il égratigne le sable
empreinte de brume
trace que laisse après son passage
la poussière