
Ce n’est pas une feuille qui déplace
Frôlée par le vent
Sa silhouette sur le tronc et la hampe florale
L’ombre esquisse un vol et parle comme la pluie en se servant exclusivement de gouttes et d’espaces vides
Aux points cardinaux du livre qui s’écrit de temps en temps
quelque chose de ta personne
infime
s’arrime
un cri d’urgence
à chaque pli du jour cette goutte
de ta sueur
imprègne le chant que tu répliques
à l’infini
l’alerte sereine face aux rires jaunes des seigneurs
le soleil s’écarte de leur route
tandis que tu picores l’azur depuis
la galaxie où s’illuminent les planètes olives encore à l’état de fleurs
Parfois simplement tu disparais
Il vient du large il coule depuis le sommet d’une colline
il passe par dessus mon épaule le vent
il met du temps avant de toucher le rivage
il vient avec tellement de vagues et d’algues
il est presque toujours dans la chevelure des arbres
les pins les oliviers
sa voix ressemble à celle des draps qui sèchent sur les prairies
à celle des nuages au soleil
un jour j’ai osé le regarder en face
j’ai vu qu’il chantait la gorge déployée le bec fier l’oeil noir pointant le ciel le vent
sur son aile un trait d’écume dans son chant une lueur à peine rose
tout le jour il a repris la même phrase qu’il alternait avec des plages de silence
la même phrase jusqu’à ce qu’elle soit polie et luisante
jusqu’à ce qu’elle atteigne la perfection du nid de la mésange
Tu vas par quelque avenue de la ville
tu vas un piano dans la cage thoracique
tu as le sentiment que c’est lui qui t‘emporte et te guide
lui qui pleure toutes les notes limpides des cascades
tu n’as plus le pouvoir de masquer ce qui ne va pas
le piano a décidé de vivre au jour claudiquant tel le fractionnement de la pluie
mélangeant folie de l’écoulement et mélancolie de l’empêchement
attente et impatience
tu vas sans que ton coeur ne s’effondre sans plus te dissoudre totalement
au milieu de toi-même l’impossible décision disloque le désespoir
tu vas la forêt dans l’âme
l’humus coule de la source vers l’éternité
Cette étoffe lente
de velours noir c’est la rivière qui erre dans les bras de la forêt
L’eau sans remous semble s’alourdir en plein d’endroits
les poissons engourdis se laissent caresser par la vase froide
une voix lance un appel à la solitude et elle lui répond comme le font les cascades
les gorges sont pleines de noms élargissant les possibles
une famille de chants réchauffe la brume lui dénoue la chevelure
renoue des amitiés fortifie les sensations
au-dessus de la rivière infranchissable la meute vient de construire un passage
chaque membre de la troupe l’emprunte en suivant les pas de
la louve alfa
De note en note
mon coeur tombe
aux cordes de la guitare
il répond par battements sourds
il marche à pas d’araignée
pour contourner un gouffre
le bouillonnement du souffle du torrent
L’aranéide s’élance afin d’ancrer
d’un bout à l’autre
de l’univers
sa toile immense
les voix enchevêtrées
des violons du haut-bois de la harpe
lui chantent pourtant au nom de la forêt
d’étoiles
qu’il sera impossible de contenir la construction de soie
mais mon coeur n’entend plus déjà
Je viens de boire le dernier accord
il donne au silence
une silhouette
le chat
La nuit venait de naître
quelques étoiles voulaient
se mirer dans la mer
le ciel violet volait
au dessus du jardin
quand brassant le silence
de ses grandes ailes
crémeuses une chouette effraie
me rappela que pour le mesurer
depuis bientôt quarante mille ans
le temps les hommes se servent
d’instruments qui permettent
parfois d’imiter avec une précision
qui arrache les larmes
un hululement.
Je n’oublie pas les mots mais parfois j’oublie ce que j’ai à dire. Je sais qu’à chacun comme au creux d’une naissance appartient une existence, un sens au quel par commodité j’ajoute une image, deux images, un hologramme. Aux images se nouent souvenirs et souvenirs de souvenirs, parfums, saveurs.
Aux mots, il reste toujours le pouvoir de quelques lettres. Si je peine à me dire ou plus simplement à dire, c’est parce qu’à mon sens les interlocuteurs manquent de précision dans le choix de mots de leurs réponses. Ils en oublient, ils en supposent ou imaginent que je parviendrai à trouver ceux qu’ils ne prennent pas la peine de chercher. Pourtant, ils sont tous là, les mots, dans le fond de la gorge, dans le vide des rêves, dans la nudité du sommeil. Ils attendent qu’on les atteigne. Ils attendent l’autre dans l’explication de lui-même.
Oublier les mots, c’est s’oublier, abandonner. Renoncer. Enterrer sa personne, prescrire l’autre, lui défendre n’importe quel débordement. Le faire taire.
Les mots, il en est toujours au moins un pour porter dans sa main le vent, sa respiration lente et discrète comme celle de la personne qu’on aime et qui dort la nuit nue ou presque dans le même lit. Il en est un pour lire l’autre. Il en est un pour me dire que ma lecture est incomplète. Il en est un que je cherche. La vie ne consiste-t-elle pas pour moi à chercher le mot. L’inscrire, l’effacer, le traduire, le réinventer.
Hier, j’écoutais « Debussy jouant Debussy » et il me semblait par moments que Debussy n’était plus Debussy mais comme un chaos, le bouleversement qu’est l’homme. À chaque instant, Debussy reprenait les rênes pour guider les notes vers lui dans une harmonie précaire, tenue au fil de presque rien: la volonté de Debussy à jouer Debussy. En oscillant ainsi, c’est vers moi que l’arbre Debussy se ployait comme pour donner vie à la poussière que je suis, à ce grain qui n’est rien. Je pense qu’en écoutant Debussy se jouer, le désordre apparent créé et puis détruit l’était aussi par l’entremise de mon esprit. Les mots me font oublier le chaos. Masques du vide, les mots me consolent en construisant des mausolées pour mes idées.
Il a contourné nos villes évité nos autoroutes nos clôtures
traversé les forêts longé les cours d’eau
franchi les cols transgressé les frontières senti comme l’air
parfois se fait lourd
il s’est nourri de neige fondante et de la blancheur imprudente
d’un agneau
il a tout simplement refusé de rencontrer nos pas
on lui aurait volé l’ambre de son regard la liberté de
marquer de ses empreintes les franges
du petit jour des crépuscules
d’embraser les pleines lunes d’appels insolents
afin que
la nuit lui confie sa course solitaire