Prodigue toujours ta beauté sans compter ni parler. Tu te tais. Elle dit à ta place: je suis, puis en multiples sens retombe, tombe enfin sur chacun. Rainer Maria Rilke
La colline allonge l’encolure et précise lentement son allure
le pas après les galops de nuages le trot appuyé de la pluie et
le rassembler de l’orage
la colline hume la rosée en élargissant les naseaux
L’oeil doux le coeur au repos
d’une rive à l’autre de la robe ruisselant le frisson
d’une onde la marque herminée du soleil
Ce qu’il regarde, c’est presque toujours le vent. Un souffle qui agite le feuillage graduellement. Tous ces détails qui pour la grande majorité des humains ne sont rien, ne signifient rien, tout cela est à ses yeux de première importance.
Il observe les ombres, les zones de petite clarté, les mouvements infimes qui s’opèrent entre chaque ingrédient. Il sent, il sait que se tiennent là les furtifs remparts de son univers. C’est là qu’il rencontre les premières sentinelles du territoire extensible et souple qui est le sien. Un monde qui n’est pas censé nous échapper aussi facilement. Le langage des éléments avec tous ses reliefs sonores, olfactifs, temporels infimes.
L’harmonie partiellement atteinte tremble et tangue comme l’ombre d’une pieuvre nuageuse, un fantôme rétablit l’équilibre insaisissable. Il voit entre les herbes et les pierres, la silhouette frêle d’un lézard, il aperçoit la mécanique hyptnotisante derrière la danse de la mante. Il entend une voix qui se hasarde au fond de lui, une musique rassurante, épanouie comme une fleur au soleil et décide qu’il est temps de fermer les yeux.
Sous les paupières, le monde liquide du rêve se mélange à la réalité qui se cristallise impassiblement. Peu à peu le sommeil soulève en rythme de petites vagues sur la mer noire du pelage. Il dort. Il réécrit de petites galaxies en petites galaxies l’infinité juste avant qu’elle ne se fossilise à jamais dans l’ambre.
Bernie, coloration by Goodshort / CC0 Détail de la tête de la couleuvre à collier Natrix natrix avec, en couleur, l’écaille temporale (en rouge), les écailles post-oculaires (en vert) et l’écaille préoculaire (en bleu).
L’oiseau dresse le portrait-robot du félin qui passe près du pin suspendue à l’arbre la pomme ouvre et puis referme soudain des ailes en mer les baleines tueuses entourent le nouveau-né du troupeau à moins que ce ne soient que remous autour d’un rocher pour se distinguer les fleurs ternes trouent les ondes claires parmi les feuilles chaudes du figuier glisse l’infinie couleuvre à collier quelque part l’eau coule de source
Le ciel avait entrepris cet interminable voyage qui va de la mer à l’horizon et de l’horizon jusqu’aux premiers récifs qui révèlent l’île aux vagues nouvellement nées
La caravane de nuages s’est arrêtée dans la baie bien avant d’atteindre les montages dont les sommets sont semblables à la mâchoire béante d’un grand saurien carnivore.
il est trop tard pour disparaitre les nuages trop fatigués pour pleuvoir dormir comme des agneaux sur le flanc des collines est ce dont chacun d’entre eux a besoin.
mais que faut-il faire du destin qui les titille et force la progression
Rien distille-il à partir de la plus haute plume du pin au-delà rien l’azur le vent la mer mais sur l’étendue aux pieds des arbres entre les rayures jaunes des herbes le chat le soleil et le pétale rose de sa langue fait trembler la lumière partout où elle passe
Animal Locomotion: Plate 669 (Ox Walking), 1887 Eadweard Muybridge Inscribed with Muybridge’s letterpress credit, series title, plate number and date Stamped on reverse with Museum of Edinburgh ‘Science and Art’ stamp Collotype print 18 x 23 1/2 inches (sheet size) 9 x 13 1/4 inches (image size)
Tous les jours, quand le soleil est encore humide, la bergeronnette des ruisseaux picore l’invisible. Frôle les surfaces réfléchissantes de l’eau. Elle mange des étincelles jaunes et blanches, bleues et grises. Elle avance en oscillant son corps prolongé par les plumes incroyablement longues de sa queue. Un gouvernail qu’elle semble avoir du mal à gouverner par grand vent. Elle vole en bondissant d’une phrase à une autre reliant les bribes d’un silence en dessinant des arcs.
Comme il doit être difficile quand on possède au corps aussi fragile de soulever l’impitoyable orchestre symphonique de la vie. Les instruments à cordes ne sont pas forcément les plus agiles, les souffles sont multiples et les poings et les coudes ne répondent la plus part du temps qu’aux lourdes locomotives. La mécanique répète inlassablement ses habitudes, n’a pas l’ampleur pour agir autrement.
La bergeronnette, elle, elle dévie, devine qu’elle n’a pas forcément le choix. Les secondes s’évaporent mais les souvenirs sont toujours de plus en plus forts, de plus en plus épais et lourds. Chacun d’entre eux se démultiplie en pièces inutiles et perdues du puzzle qu’on s’efforce sans espoir d’y réussir à reconstituer.
Si l’on en possédait les morceaux intacts restitués chaque nuit aurait-on encore le besoin impératif d’écrire, d’annoter les bribes complétées d’un titre, préserver en elles un numéro magique, un chiffre mystérieux qui défriche jusqu’à la moindre parcelle embroussaillée des rêves, des histoires mobiles plus habiles à disparaître qu’à nous aider à cueillir une vérité?