Prodigue toujours ta beauté sans compter ni parler. Tu te tais. Elle dit à ta place: je suis, puis en multiples sens retombe, tombe enfin sur chacun. Rainer Maria Rilke
Et si l’écriture faisait un détour et plusieurs par toi
territoire libre et sauvage
si la blessure qu’elle désigne d’une ligne partagée avec le silence n’était pas que la mienne
mais celle partagée par tellement d’autres
tenue sous l’écorce
si l’encre ne brisait pas seulement la surface d’un miroir et n’était pas que la seule impression désignée par une introspection malade
si l’écriture n’était rien qu’un songe qui sert à départager la réalité
si l’écriture n’était que cela
utile utilisée par tous
tendrais-je encore mes poignets serrés
tenterais-je encore d’échapper
Je ne le sais pas d’ailleurs qui veut savoir
Est-ce qu’il faut rajeunir le monde ou le regard ?… Description : Sous-titre : Logogramme Auteur : Dotremont Christian (1922-1979)
C’est une écriture qui tente d’écarter de sa structure le lourd poids des mots sur les choses. Tellement d’analyses, de comparaisons absurdes et de traductions pour ne parvenir qu’à fermer la porte à l’être en lui imposant un nom, un ordre de classification, un numéro, une place livide dans une quelconque encyclopédie. Tant de tentatives d’apprentissage, de régulation de l’espoir pour ne parvenir qu’à une seule phrase comme un coup de poing dans le ventre.
C’est une écriture qui traîne, qui soupire, qui chavire, soulève et s’enflamme. Elle transporte sans pouvoir s’en défaire un attirail de symptômes, de noms tous synonymes de folie, d’hystérie féminine, de déraison. Elle étoufferait presque, elle s’embourberait si elle n’était capable à l’instar des lézards de se séparer de ce par quoi on la retient pour s’enfuir et se remodeler autrement ou semblablement quelque part. C’est une écriture de l’ailleurs, de l’indomptable, de la souffrance et de la soif.
Comme un barbelé, un dragon osseux dont il ne reste que les épines et une mâchoire sans dent, une structure épurée du passé, elle révèle tout le pouvoir du présent, de l’instantanéité, de la cruauté. Un bon de gazelle, une queue de poisson, un cil de faon, une pupille de serpent, un cri de désespoir. On la porterait presque comme un bijou sur le cœur, comme une couronne sur la tête, comme un trophée sur la mort. Cette écriture finirait par se défaire de tout et d’elle-même, se glisser sous terre, correspondre au silence, aux suicides, aux incendies si elle n’avait pas inscrit dans ses gènes cette promesse de résister, de figurer le soleil.
C’est une écriture comme une carcasse, un fourneau, c’est une pelure, une seconde peau qui donne envie de muer, de se désordonner, d’éclater. C’est une écriture qui se cabre et rue, elle n’a déjà plus l’apparence que vous lui attribuez alors que vous la contemplez. Elle s’est peut-être éteinte dans l’espace qui lui a permis d’arriver jusqu’ici pour se déclarer comme un écho, comme une étreinte. Nous sommes tous faits de poussières d’étoile et de lumière.
Quelle importance si la réalité sur laquelle s’appuient mes pieds n’est que mouvance, matière impalpable de rêves, foutaises, maladresses ?
Je sais que ce que j’aperçois n’est vu que de moi, que ce que je comprends ment dès que je plante une phrase, dès que je contourne le silence en fabriquant des syllabes.
je sais que tous, vous vous contentez de cette cage : un poème qui porte votre nom jusqu’en bas d’une page. Vous le marquez comme le bétail, vous pensez qu’il fait partie de votre héritage.
Vos troupeaux infiniment lourds ne bougent que la poussière des prairies verdoyantes qu’ils ont eux-mêmes rongées d’impuissance.
Quelle importance accorder à la récompense qui est de posséder toute la science qui vous donnerait le droit de penser pour tous?