Forêt

© Bertrand Elsacker

Dans la forêt d’eucalyptus il n’y a plus personne

quelques pins et leur broderies d’aiguilles 

un silence d’écorce et parfois quelques plumes

la cime sert de nid au milan

il miroite au soleil parmi mille feuilles

éclaboussées par le soleil

Aujourd’hui on entend la mer

filtrer la lumière

avant de se mélanger aux saveurs automnales

du maquis 

Héliophile

Bubble © Brian Bonham

Quelques billes de verre se heurtent les unes aux autres

celles que j’appelais oeil de chat

quelqu’un les égoutte entre les doigts

sur les troncs roucoule une source fantôme transformée en ombre

veloutée

un vulcain un machaon un flambé et quantité affolante de piérides de cuivrés d’azurés

La carte géographique

et puis celui qui est comme le plus petits des colibris

répondent chacun à l’appel ciblé d’un parfum

que dire d’elle

la seule qui à la nuit tombée choisit de se poser

ailes ouvertes sur l’incompréhensible transparence

d’une fenêtre fermée autour d’un soleil doux

apeuré 

nymphe nacrée teint de lune argentée elle 

choisit presque toujours la nuit pour apparaitre

Aléa

©cc

Propulsée 

Par la nuit vers un rayon de lumière orange 

La mante verte 

Aborde la pente douce du mur 

Et entreprend une danse 

Qu’elle interrompt si je la regarde 

J’aimerais lui souffler 

Ce pan du monde est l’univers d’un fécond 

Gecko 

Elle le sait 

Dit-elle 

Puisque c’est moi qui ai jeté les dés 

Pourparlers

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Pour parler 

De la mer les vagues 

L’attraction amoureuse d’un astre

Qui ne sait que se taire 

Le temps fait de grains grignote 

La lumière ou ce qu’il en reste 

Lorsque enfin me parvient l’onde

Qui témoigne d’un effondrement sidéral 

Pour parler de l’animal en moi

Une âme muette minérale 

Qui se persuade qu’il n’est jamais trop tard

Freux

Il vient de lisser ses plumes
celui qui désigne l’hiver d’un cri
le jour au bord du gouffre se racle la gorge

il pourrait tenir dans ses serres
ce qu’il reste de minéral aux rivages assaillis
par les vagues 

son oeil noir abîme de l’âme 

regard intergalactique
semble savoir
que la toupie danse sur son unique pied

Adagio

De note en note

mon coeur tombe

aux cordes de la guitare

il répond par battements sourds
il marche à pas d’araignée

pour contourner un gouffre
le bouillonnement du souffle du torrent

L’aranéide s’élance afin d’ancrer 

d’un bout à l’autre
de l’univers


sa toile immense  

les voix enchevêtrées
des violons du haut-bois de la harpe

lui chantent pourtant au nom de la forêt
d’étoiles 

qu’il sera impossible de contenir la construction de soie

mais mon coeur n’entend plus déjà 

Je viens de boire le dernier accord

Instable

Unstable, May 2014, bvde
Unstable, May 2014, bvde

Je m’écris une lettre sans avoir rien à me dire. Une lettre pour tenter d’ordonner toutes les matières brutes véhiculées par ces portions de vies extérieures et anonymes. Une lettre pour répondre aux fragmentations de l’autre dans ses gestes, sa parole, son absence. Une lettre pour résumer ma déroute imprécise à quelques mots écrits avec soin.

Les formes seraient décrites comme s’il m’était possible d’apprivoiser l’espace et l’inconnu. Une lettre pour contourner la peur, le jugement hâtif, la plainte calomnieuse. Donner un nom à l’ennemi qui me hait comme si cette distinction allait mettre fin à l’extinction qui menace les faibles.

Unstable, May 2014, bvde
Unstable, May 2014, bvde

Parfois il me semble froidement que ma vie se résume à une forme abstraite, à une composition d’instants loin les uns des autres. Ma vie est un puzzle auquel il manque toujours une pièce.

Géométrie des souvenirs et de leurs interprétations au fur et à mesure qu’ils m’échappent et prennent le large. Toile tendue en guise d’espoir sur laquelle s’imprime instinctivement cette sensation de manque et la solitude que je porte comme un vêtement. Une lettre pour masquer l’angoisse intersecte de l’être.

Est-il possible de s’écrire une lettre alors qu’on ne se sent pas la force d’épeler les mots, d’appeler l’autre pour qu’il s’arrête un instant, s’asseye à la table et se raconte ? Une lettre pour s’atteler à la vie et se laisser naviguer n’importe où.

De la mer

Gerhard Richter, oil on canvas, 1969.

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De la mer, il ne reste plus que le ciel, son reflet à peine bleuté.

Á la place des vagues, quelques nuages ondulent faiblement.

Là, comme déposés par un pinceau papillonnant, les quelques 

traits noirs d’une barque. Elle porte au milieu de nulle part  le 

corps vouté d’un personnage. On ne le reconnaît pas.

Le paysage implore un questionnement, s’oppose à ce qu’il

est habituellement, fluide. Muette est la réponse, elle se fige

à peine. La lumière circule toujours librement, déplace les graines

des secondes sans qu’on s’en aperçoive, sans qu’on dispose du

langage pour l’exprimer. Dire c’est dilapider.

Dans le paysage se figent les figuiers, ils ont déjà perdu toutes leurs

feuilles, la rosée et la brume. Le parfum de la terre humide. Les bordures 

de l’aiguille rognent les quelques traces d’obscurité. Se pointe et se résume la virgule au cri de l’oiseau comme 

si quelque chose d’amer restait coincé dans ma gorge et finissait par

germer à l’abris de la lumière. Dépourvues de chlorophylle, de sa parole de

verts flamboyants et croquant la vie, l’aubépine, la bougainvillé ou l’acanthe 

s’éteignent irrémédiablement. Aucun geste même doux et docile, même aimant, même innovant ne rend vraiment la vie aux temps passés qui cogitent encore

dans l’esprit et ne finissent d’habiter mon âme à la manière des roches

des perles et de toutes nos parcelles d’éternités.