Somme

L’onctueuse fourrure 

Ondoie selon le rythme de la respiration

Au sommeil 

elle est mer et forêt écume et brume mousse ou corail 

Végétale et animale 

Parfums rassemblés par la poussière portée par 

La lumière 

Quel voyage équivaut à un rêve

Quelles distorsions du temps adviennent pour produire cet état 

Un chat noir étendu dans l’unique flaque de lumière chaude de la pièce 

Le monde s’abstiendra de s’effondrer là 

Apparaissance

Sa petite fourrure noire sent la cendre et le sous-bois, contient en elle un incendie éteint. La pierre volcanique légère aux reflets d’argent pousse un roucoulement rose, un miaulement de petite fleur et puis se présente à cette nouvelle journée en trois bonds, de l’extérieur à l’intérieur de la maison.

Chaque seconde est un recommencement pour un être tel que lui. La nuit est sa pupille. La lumière la mange et la transforme en filament vert sombre au centre d’une nébuleuse orange.

L’animal a faim et il faut le nourrir afin qu’il cesse de vous poursuivre. Des frôlements ou des feulements, il faut mieux choisir les premiers et récompenser les effleurements ronronnants.

Il mange pendant que tombe goutte à goutte dans la carafe transparente, chaude et odorante, la matière noire sous sa forme liquide et tonifiante.  Le breuvage est prêt mais sa saveur la plus étrange a déjà rejoint le jardin en silence.

Matière noire

Il est entré dans la maison

sans faire le moindre bruit

sans attirer sur lui l’attention

il était comme la souple signature

d’une lettre aux phrases semblables

à celles que se murmurent entre elles

les feuilles des arbres 

celles qui trouvent le mot « fruits » dans toutes les pupilles

des fleurs et le mot « pluies » sous l’aile et l’ombre

du mlian royal

il s’est allongé sur le tapis après avoir choisi

l’écusson central qui représente la source claire et buvable

d’un jardin Persan

comme il n’en existe plus 

ailleurs qu’entre les strophes de très anciens manuscrits

Là soudain il s’est endormi dans les bras

de l’harmonie du monde

telle qu’elle s’étudie en rêve

en équilibre comparable à une toupie

qui ne peut s’arrêter de respirer  

Le chat

source image

L’espace où il se déplace se distingue des autres silences
en ce qu’il est souple immuable et docilement sombre
chaque pas correspond à une empreinte de quatre ou cinq
coussinets délicats sur un sol imparfait
éclats de vers sur la feuille

il suit inlassable les mêmes couloirs odorants les mêmes passages
où le temps est indifférent au passé au futur au présent
il importe qu’il soit presque semblable à l’éternité sonnante

son pelage de braises et de cendres
son regard de gemmes
sa voix qui se lézarde

sa lassitude intacte et pure
se gardent de grincer à l’instar
de tellement d’humains

Le beau ténébreux

Sur l’un des troncs une ombre s’allonge 

Le jour décroît la nuit s’avance de quelques pas

Une branche étire quelques fibres de soleil

griffes et dents carnassières

L’arbre abrite une panthère 

Le vent feule les frondaisons flambent 

L’écorce se crispe serait-ce le chat 

Qui aiguise ses griffes 

L’embrasement de la nuit en chaque reflet d’étoile naît de la morsure du fauve

sa robe telle une coulée de lave froide

Les feuilles mortes et le chat

Certaines petites feuilles mortes

Ressemblent à des oiseaux 

Même si aucune ne s’envole

Elles picorent

Elles ouvrent les ailes 

Et là où il n’y a pas d’air

Elles raclent le sol

Aucun oiseau mort ne ressemble à la feuille 

Même si son envol va vers la mer

Gagne les airs 

Voilà ce que se dit le chat

Assis sur sa hauteur de coussins 

Rangés pour l’hiver 

Le chat noir

Ce qu’il regarde, c’est presque toujours le vent. Un souffle qui agite le feuillage graduellement. Tous ces détails qui pour la grande majorité des humains ne sont rien, ne signifient rien, tout cela est à ses yeux de première importance. 

Il observe les ombres, les zones de petite clarté, les mouvements infimes qui s’opèrent entre chaque ingrédient. Il sent, il sait que se tiennent là les furtifs remparts de son univers. C’est là qu’il rencontre les premières sentinelles du territoire extensible et souple qui est le sien. Un monde qui n’est pas censé nous échapper aussi facilement. Le langage des éléments avec tous ses reliefs sonores, olfactifs, temporels infimes.  

L’harmonie partiellement atteinte tremble et tangue comme l’ombre d’une pieuvre nuageuse, un fantôme rétablit l’équilibre insaisissable. Il voit entre les herbes et les pierres, la silhouette frêle d’un lézard, il aperçoit la mécanique hyptnotisante derrière la danse de la mante. Il entend une voix qui se hasarde au fond de lui, une musique rassurante, épanouie comme une fleur au soleil et décide qu’il est temps de fermer les yeux.

Sous les paupières, le monde liquide du rêve se mélange à la réalité qui se cristallise impassiblement. Peu à peu le sommeil soulève en rythme de petites vagues sur la mer noire du pelage. Il dort. Il réécrit de petites galaxies en petites galaxies l’infinité juste avant qu’elle ne se fossilise à jamais dans l’ambre.    

Un messager

Muramasa Kudo

La porte s’ouvre

seule

entrent venus du jardin

un ange et le chat

l’un est un ruisseau
un filet d’air
la voix d’une vague

peut-être

l’autre est comme toujours
en lisière du silence

il est le seul
à voir à savoir

l’ange sort mais reste
comme la longue queue d’un cerf-volant

le chat

qui cherche la caresse d’avant le rêve.

Le chat

Differantly (DFT) via creapills.com

Par la fenêtre   il regarde les vagues
certaines halètent en prévision de la plage
d’autres repartent

Dès que la porte s’ouvre  il bondit vers l’air   libre
il saute sur la table où sont posés des légumes et des fruits
l’odeur des végétaux l’intrigue   il décortique le message qu’ils ont pour lui
provenance     fraicheur et quelques détails sur le propriétaire de l’endroit où ils ont grandi

Il va rêveur de par ses chemins habituels qui favorisent de longues trainées d’ombres    Il va évitant les flaques de soleil   Quelques sifflements annoncent sa présence aux autres habitants du jardin  Personne qui ne sache que son errance a commencé

Le vent mélange les murmures entre eux   Ceux des vagues ceux de l’eau ceux des feuillages et ceux du temps qui passe 

Il va silencieux Il sait que ses pas et ceux de l’éternité ont quelque chose à se confier
         un mot enrobé de patience     un mot qui ressemble à un miaulement qu’il est le seul à comprendre.