Prodigue toujours ta beauté sans compter ni parler. Tu te tais. Elle dit à ta place: je suis, puis en multiples sens retombe, tombe enfin sur chacun. Rainer Maria Rilke
La pluie picote dans les flaques se reflètent les petites poules d’eau douce Est-ce cela que le félin observe la transmutation d’une écriture lourde en gouttelettes d’or pur ou attend-il plus simplement comme moi que le temps cesse de grappiller de précieuses secondes
Ce qu’il regarde, c’est presque toujours le vent. Un souffle qui agite le feuillage graduellement. Tous ces détails qui pour la grande majorité des humains ne sont rien, ne signifient rien, tout cela est à ses yeux de première importance.
Il observe les ombres, les zones de petite clarté, les mouvements infimes qui s’opèrent entre chaque ingrédient. Il sent, il sait que se tiennent là les furtifs remparts de son univers. C’est là qu’il rencontre les premières sentinelles du territoire extensible et souple qui est le sien. Un monde qui n’est pas censé nous échapper aussi facilement. Le langage des éléments avec tous ses reliefs sonores, olfactifs, temporels infimes.
L’harmonie partiellement atteinte tremble et tangue comme l’ombre d’une pieuvre nuageuse, un fantôme rétablit l’équilibre insaisissable. Il voit entre les herbes et les pierres, la silhouette frêle d’un lézard, il aperçoit la mécanique hyptnotisante derrière la danse de la mante. Il entend une voix qui se hasarde au fond de lui, une musique rassurante, épanouie comme une fleur au soleil et décide qu’il est temps de fermer les yeux.
Sous les paupières, le monde liquide du rêve se mélange à la réalité qui se cristallise impassiblement. Peu à peu le sommeil soulève en rythme de petites vagues sur la mer noire du pelage. Il dort. Il réécrit de petites galaxies en petites galaxies l’infinité juste avant qu’elle ne se fossilise à jamais dans l’ambre.
Par la fenêtre il regarde les vagues certaines halètent en prévision de la plage d’autres repartent
Dès que la porte s’ouvre il bondit vers l’air libre il saute sur la table où sont posés des légumes et des fruits l’odeur des végétaux l’intrigue il décortique le message qu’ils ont pour lui provenance fraicheur et quelques détails sur le propriétaire de l’endroit où ils ont grandi
Il va rêveur de par ses chemins habituels qui favorisent de longues trainées d’ombres Il va évitant les flaques de soleil Quelques sifflements annoncent sa présence aux autres habitants du jardin Personne qui ne sache que son errance a commencé
Le vent mélange les murmures entre eux Ceux des vagues ceux de l’eau ceux des feuillages et ceux du temps qui passe
Il va silencieux Il sait que ses pas et ceux de l’éternité ont quelque chose à se confier un mot enrobé de patience un mot qui ressemble à un miaulement qu’il est le seul à comprendre.
Tu t’efforces de mettre tes pas dans tes propres empreintes afin de peut-être ne pas troubler ce monde qui frôle le tien
Ta silhouette noire synonyme du silence ondoie Ce que tu ne sais pas mais devine c’est qu’il est terriblement brouillant de mensonges de paroles qu’on ne donne pas ce monde qui frôle le tien
tu fais bien de l’ignorer de ne point te mélanger à son immonde rigueur de te retourner parfois et de l’inonder de tes pourquoi
petit animal carnassier qui préfère le soleil à l’orage la nuit la lune et les étoiles à la cage
petite langue rose gardée par de solides mâchoires garnies de dents ivoire tu préfères ne boire qu’aux sources qui pleuvent et roucoulent et te picorent le coeur et cet endroit toujours sauvage où se loge ton âme
au diable les humains chasseurs de rages au diable les humains pourvoyeurs d’entraves
Le félin sur le chemin de ses quotidiennes habitudes une trace olfactive à traduire des milliers de rêves sont passés partout où il va ondoyant comme la signature d’un poète amarrée à l’encolure des phrases qui lui échappent.