Prodigue toujours ta beauté sans compter ni parler. Tu te tais. Elle dit à ta place: je suis, puis en multiples sens retombe, tombe enfin sur chacun. Rainer Maria Rilke
Il vient du large il coule depuis le sommet d’une colline
il passe par dessus mon épaule le vent il met du temps avant de toucher le rivage
il vient avec tellement de vagues et d’algues
il est presque toujours dans la chevelure des arbres les pins les oliviers sa voix ressemble à celle des draps qui sèchent sur les prairies à celle des nuages au soleil
un jour j’ai osé le regarder en face
j’ai vu qu’il chantait la gorge déployée le bec fier l’oeil noir pointant le ciel le vent sur son aile un trait d’écume dans son chant une lueur à peine rose
tout le jour il a repris la même phrase qu’il alternait avec des plages de silence
la même phrase jusqu’à ce qu’elle soit polie et luisante
jusqu’à ce qu’elle atteigne la perfection du nid de la mésange
Par la fenêtre il regarde les vagues certaines halètent en prévision de la plage d’autres repartent
Dès que la porte s’ouvre il bondit vers l’air libre il saute sur la table où sont posés des légumes et des fruits l’odeur des végétaux l’intrigue il décortique le message qu’ils ont pour lui provenance fraicheur et quelques détails sur le propriétaire de l’endroit où ils ont grandi
Il va rêveur de par ses chemins habituels qui favorisent de longues trainées d’ombres Il va évitant les flaques de soleil Quelques sifflements annoncent sa présence aux autres habitants du jardin Personne qui ne sache que son errance a commencé
Le vent mélange les murmures entre eux Ceux des vagues ceux de l’eau ceux des feuillages et ceux du temps qui passe
Il va silencieux Il sait que ses pas et ceux de l’éternité ont quelque chose à se confier un mot enrobé de patience un mot qui ressemble à un miaulement qu’il est le seul à comprendre.
Les portes et fenêtres sont ouvertes
du jardin provient une rumeur
ce ne sont pas les fleurs qui se parlent par abeilles interposées
ni la colline qui dévale dans des galops de végétaux fulgurants
c’est la mer à ses pieds qui répond en vers au vent
Le vent est dans l’étoffe
la voile s’étend et forme comme une nageoire
j’entends comment
mon rêve s’apprête
à quitter souplement sa planète
qui à chaque fois reste
naviguer entre nuages et ciel
entre vagues et pressentiments
je vois la quille sabrer les profondeurs
de la nuit tranquille
le vent est dans les feuillages
qui se brisent houleux
contre la nuit
son corps aux rondeurs
éblouies dans chacun de ses mouvements
imite le son que font
les vagues quand elles quittent la plage
restent le sable l’étonnement de l’air
devenu marin et soupir
mon désarroi enfin ne s’abrite plus
nulle part
Pablo Lehmann, syntax, Intercut discourses 18 x 15 cm. | 2004 Cut-out paper
Elle est entrée dans le jardin, à pas lents, à pas d’insecte. Elle cherchait les endroits où les frondaisons tremblent à l’idée de devenir des ombres qui s’allongent sans qu’on s’en rende vraiment compte. Elle a trouvé sa place sur le dossier d’un fauteuil, l’arrête elle l’avait prise pour une branche.
Le vent s’était absenté. Probablement somnolait-il à la surface des flots lourds comme les plis d’une étoffe de velours dans un tableau. Le ciel avait cédé son espace au soleil, roi sourd dont la cruauté non exprimée stagnait sur le bord de ses lèvres.
Elle aurait pu paraître hésitante car son maigre corps se balançait d’avant en arrière comme s’il cherchait à inculquer aux jambes un mouvement qu’elles refusaient avec ardeur. Il n’en était rien. Elle savait ce qu’elle voulait: garder cette position intermédiaire entre rester et tenir et partir. Rester là ou n’importe lequel de ses désirs peut t’être dicté comme s’il appartenait à tes souvenirs, à tes rêves, aux propres échos de ton âme. Elle savait qu’elle se délecterait par dessus ton épaule, de ta peau à la manière de la lumière et de l’eau quand tu baignes ou te reposes assis à contempler ton jardin tel qu’il sera à la prochaine saison. Elle regarderait tes mains trembler quand elles n’ont plus de geste à exécuter.
Elle connaissait tous ces passages étroits entre les projections des rêves et la réalité. Sans que tu ne t’en aperçoives, c’est là qu’elle t’attendait. C’est de cet endroit qu’elle ne finirait pas de t’apparaître.
Sur ton épaule, posée comme un grain de poussière, de sa voix colorée comme celles des sources qui appartiennent aux pays du soleil, éclairée, elle commencerait sa dictée. Difficile d’avouer au quel d’entre vous deux le récit envoûté coûte le plus cher. Elle y laisse son nom, sa faculté de voler, ses mystères. Tu lui consacres ta vie sans merci. Sans connaître le moindre repos. Tu n’as que le temps de t’apercevoir qu’il existe toujours entre toi et la vie comme un léger décalage.
Comme nuages les rivages se dissipent au large
il devient impossible de savoir ce que cache la mer et même de reconnaître avec certitude les contours de l’île
pourtant
de la colline comme d’une épaule s’écoule une chevelure
de myrte de bruyère de ciste
d’immortelles
senteurs
Je ne pourrais dire il vente
car je sens bien que le vent n’a rien d’aussi méthodique que la pluie
il habite l’horizon
est né de la montagne
le vent est un petit animal
étourdi fort soudain
est-il possible de le maintenir sur la paume des mains
même à la voile il échappe
Il pleut et
le ciel est rempli de coups
de griffes
il pleut et
chaque goutte est l’écho d’une autre
le vent avance
en froissant les frondaisons
des oliviers
le pin d’Alep avale de grande bouffées d’air frais
il pleut et il se peut
que partout ailleurs il pleuve aussi
dans mon thorax
sur mes bras
dans mon ventre
sur mes jambes
dans ma bouche
sur mes lèvres
il pleut et
mes larmes
comme de petits raz de marée
passent d’une vague à l’autre
de pointe de poignard en éclats coupants
il pleut et
la pluie est emprisonnée dans l’espace chiffonné
d’un kaléidoscope
il pleut et
je peux à peine distinguer
cris et écrits hallucinés
pluie et
nuit nuisent désormais à la clarté
de mes pensées
se peut-il que l’obscur
désir d’exister ne soit plus
qu’une pluie
de plus
d’étoiles
d’éclairs
du passé
Straw-colored Fruit Bat Eidolon Helvum, Ben Van Den Brink
Entre
ce venin
et
mes articulations
l’espace libre
laissé en friche aux secondes
•
chacune
comme un grain
grippe
mes mouvements
afin que je n’avance
jamais
souplement
•
des gonds rouillés
grincent
grondent
ponctuent
vagues
tornades
granuleuses
torsions
•
mes os sont toujours sur le point
de se réduire en poudre
•
Parfois par un soupirail
des lambeaux de souffrance s’échappent
Je les contemple
battre de l’aile
•
Parfois en rêve
j’échange mes chauves-souris
vampirisantes
contre
les quelques gouttes phosphorescentes
du crépuscule
afin que survienne la trêve
Le temps se liquéfie et la mer muette oublie les vagues
Au milieu de la nuit les premiers bourgeons du mimosa sont
Bleus
L’effluence dorée de tous les soleils anciens sommeille
Encerclée de la bogue
de l’hiver
Mon souvenir précis infime fort comme un spore
Rôde encore incertain
Buisson né d’un autre buisson
De racines il échappe sans cesse à l’effondrement de lui-même
Parfois il s’aperçoit incarnat sombre lui
Et son incendie d’écritures fouillent
La nuit
Parfois je l’aperçois et le suis
Buisson de bruits