Apparaissance

Sa petite fourrure noire sent la cendre et le sous-bois, contient en elle un incendie éteint. La pierre volcanique légère aux reflets d’argent pousse un roucoulement rose, un miaulement de petite fleur et puis se présente à cette nouvelle journée en trois bonds, de l’extérieur à l’intérieur de la maison.

Chaque seconde est un recommencement pour un être tel que lui. La nuit est sa pupille. La lumière la mange et la transforme en filament vert sombre au centre d’une nébuleuse orange.

L’animal a faim et il faut le nourrir afin qu’il cesse de vous poursuivre. Des frôlements ou des feulements, il faut mieux choisir les premiers et récompenser les effleurements ronronnants.

Il mange pendant que tombe goutte à goutte dans la carafe transparente, chaude et odorante, la matière noire sous sa forme liquide et tonifiante.  Le breuvage est prêt mais sa saveur la plus étrange a déjà rejoint le jardin en silence.

Le Flambé

Iphiclides podalirius-©cc

Le soleil sur un plateau de nuages

navigue au-delà de la

ligne imaginaire qui finit l’horizon

il frôle les cimes tel un fantôme

la foule des feuilles flamboie

poudre pourpre au coeur des fleurs

qui se soucie de celui qui est seul?

le soleil en mer noie sa propre lumière

l’iris rêve ses sépales comme des ailes

depuis les temps de la fin du Crétacé

Cet insecte craint moins que toi

crétin de se brûler les ailes

Irrémédiable différence

tu erres
tu es presque tu
partout
tu as un insecte en toi
tu le vois comme ce coeur étrange à clapets 

qui s’ouvrent ou se ferment

tu le sens comme un grouillement qui te dépasse

et te déboussole
tu es seul

solide

tu transmues chaque parole en buée

chaque départ en larme

le silence suinte sans suite

en ton univers

Il n’y a pas de Moi

majuscule 

Arthropode 

Sa langue maternelle est une araignée

et ses textes sur la toile une constellation de silences

inapaisés 

un corps morcelé condamné malgré lui à tisser

sa langue et son venin 

son habileté à créer la sensation du vide

et de la torpeur


en fermant ou en ouvrant l’espace

l’exosquelette ne protège pas

des mots

il sait


qui marquent au fer rouge la chair

Le chat

source image

L’espace où il se déplace se distingue des autres silences
en ce qu’il est souple immuable et docilement sombre
chaque pas correspond à une empreinte de quatre ou cinq
coussinets délicats sur un sol imparfait
éclats de vers sur la feuille

il suit inlassable les mêmes couloirs odorants les mêmes passages
où le temps est indifférent au passé au futur au présent
il importe qu’il soit presque semblable à l’éternité sonnante

son pelage de braises et de cendres
son regard de gemmes
sa voix qui se lézarde

sa lassitude intacte et pure
se gardent de grincer à l’instar
de tellement d’humains

frôlements

©Bertrand Els @bertelsac

Il va un phalène dans l’âme
battements de visages  chacun des départs
sous les paupières
les cartes du ciel et des dédales
voyages inutiles au bout de la peur
la solitude cèle les visions du futur

partout on le regarde sans le voir
il va larves dans la tête vers sous la langue
éternellement en provenance des mêmes lueurs lunaires
la parole douce la voix grave l’humeur sur le point de disparaître

il va métamorphosant son malheur et celui de chaque être humain
à pas d’insecte et filaments de cendres fils d’étoiles naines
enfant du vide et du désespoir avec sur les lèvres un sourire
de statue grecque

Roncier

Bertrand Els

L’embrigadement de moi-même par les idées sombres

des ronces et
cette forêt malade où se disloquent les jours les heures les secondes
toutes les semaines de l’année me prennent à la gorge

A quoi vas-tu renoncer? Je grince

A rien puisque en dehors des épines des sentes embourbées je ne possède rien

qu’une nausée 

mon coeur mon âme ou ce qui portait ce nom au goût autrefois si fort

part en fumé

partout comme un grand brûlé regarder depuis les rochers
les eaux bleues et froides
pour se calmer

tous les silences auxquels je ne sais
comment renoncer

Incantation

Par Brooklyn Museum, CC BY 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=22480908https://commons.wikimedia.org/wiki/Category:Dogon_masks?uselang=fr#/media/File:Brooklyn_Museum_1996.200.3_Mask.jpg

Parfois l’arbre convoque
les masques

— les masques Dogon
les visages sculptés que portent les morts —

pour parler au soleil au travers des ombres

ils échangent leurs sagesses leurs rides et leurs crevaces
ils contemplent l’immobilité au delà de nos actes fous

ils sifflent et grincent quand les prédateurs se rapprochent

L’arbre aime tant que les sorciers évoquent la présence de ses frères

disparus

Je ne sais quel poème est scandé
jusqu’à ce que le ciel grince et se zèbre de cris