Les fourmis noires

Le temps s’étire comme un chat
sur la mer on aperçoit ses rayures
et ses griffes ivoire
il réapprend à lire
les feuillages les aiguilles les hampes les fleurs

sur la feuille du jasmin la fourmi
explore un nouveau monde 

la régularité profonde des nervures
et les bords verts sertissent l’ombre
de l’arbre conquis ou presque par le reste de la colonie

temps et fourmis cherchent inlassablement
à se souvenir des secondes
si difficiles à oublier
quand on est bêtement un humain
qu’on entend les voisins se faire la guerre à coups de cris aigus et graves
alors qu’on espère
le merle, la grive musicienne et les rubans de brigands brillants
picorant le ciel          une giclée d’hirondelles 

Éveil

Photography of Iceland’s volcanic rivers by Andre Ermolaev

Je suis les v du vent qui survolent éternellement les vagues

et se partagent l’écume à coups de bec et de cris.

Je suis le v de tes lèvres , les ailes à franges rouges de tes baisers font du triangle de mon sexe un delta qui efface les distances.

Je suis la victoire du bleu sur les vers, du blanc sur le temps, de l’encre sur le papier.

Je suis le vol du vautour qui de ses sommets poursuivant les coups de nageoire de la nue,

plane sur la mort en lui dessinant une auréole de paroles presque invisible à l’œil nu.

Vers

Glass Anatomical Models by Farlow’s Scientific Glassblowing

 

 

Je suis allongée comme une algue morte

délassée par ce qui ressemblait à un rêve.

La musique s’avance en éparpillant dans l’air

des serpentins de soie dont les brillances

colorées dessinent le cadre et les sentiers

de la journée.

 

Dehors la ville est une forêt de conifères

qui libère les cris des outils et les

tremblements de terre provoqués par

les bus et le métro. Parmi les passants

le jour hésitant trouvera bien à se rendre utile pour quelques uns.

 

Je ne laisserai pas se répandre dans mes veines

la haine d’une parole sertie de mensonges grossiers.

Le venin d’un geste insensé ne tenaillera pas ma journée

que je traverserai sur la pointe des pieds.

 

Les feuilles du peuplier

Quiet Veil by Noell S. Oszvald
Quiet Veil by Noell S. Oszvald

J’entends le train fendre la nuit et s’enfuir au loin, je connais fort bien les quatre coins de mon alcôve. La porte est fermée à clef ainsi que toutes les autres portes qu’elles mènent à un couloir où à une cour intérieure.

J’entends les feuilles du peuplier effleurer doucement le cadre de ma fenêtre et se jouer du vent. Je sens mon cœur se chiffonner comme les papiers de mes cahiers. Jeté au fond de moi, il y a ce poids qui me rend coupable de chacun de mes gestes, de toutes les pensées qui ne vont pas vers Dieu et la sérénité. J’ai peur de la nuit lorsqu’elle se met à gronder, à s’inonder de monstres impalpables, à me déshumaniser. La vie éclate à l’extérieur de moi, elle se peuple de mots et de cris qui ne me ressemblent pas. C’est un miroir qui ne me reflète pas. Je ne ressemble pas à ce qu’elle attend de moi. J’ai raté tous mes auto-portraits.

L’ange gardien qui m’accompagne au quotidien ne chante jamais de louanges à la beauté du rêve, à la somptueuse saveur des fleurs qui fleurissent sauvagement dans les prés. Il ne regarde pas la douceur de l’oeil brun ombragé de cils du cheval qui broute, curieux et insouciant. Il n’écoute jamais les mouvements de la tristesse dans mon ventre et dans mon âme. L’ange gardien ne se préoccupe que de mes incompétences et de tout ce qui porte le nom de péché, impureté, désobéissance.

J’attends immobile, esseulée, couchée sur mon lit. J’attends que la nuit passe en ne faisant pas d’autres bruits qui me froissent et me confrontent à ma captivité avec toujours plus de froideur.

La réalité est que je ne sais rien, ne comprends rien, n’arrive à rien, ne désire rien avec avidité et sans pudeur.

J’ai gardé mes douze ans dans mon cœur et demain, c’est décidé, je m’échapperai en sautant par dessus, les barrières, les ponts, les haies et je prendrai le large, je m’envolerai très loin, le plus loin possible de l’impitoyable réalité.

 

 

Dissection

Tu as cru que je viendrais portée comme une note de musique par des auréoles colorées.

Tu croyais que tu pourrais me prendre dans les bras,

me récolter dans tes paumes, me contenir dans un songe.

Tu voulais m’apprivoiser, tu pensais que mes rires soulageraient tes blessures. Tes petites entailles par lesquelles le monde se faisait sentir et semblait parfois ressurgir de tes plus sombres profondeurs.

Tu ne guériras pas de ce que la vie a maintenant fait de toi.

Ma tendresse est trop molle et mon silence avance comme les marées noires : il arrivera trop tard. Ton cœur est déjà froid.

Ton propre souffle est en train de t’asphyxier.

Sous ton œil, le cerne dessine comme un croissant de lune bleuâtre et dans ton ventre,

le noyau vicié d’un soleil écarlate tremble en entendant au loin les premiers cris de la mort.

affluences

Source: chronoscapes.com via machinn on Pinterest

J’ai une peau de fleur

et du pollen sur les paupières

la nue habille mes pupilles

en circulant tout autour de leurs cœurs

comme une couleuvre

·

J’ai une peau de fleuve

et l’envie de déborder de mes rives

d’effleurer vos nuits

navires fantômes chargés de livrer

une cargaison de mots à vos songes

·

Mes grains de beauté

sont les points d’une constellation

de galets au fond d’un lit

points doux graines dociles

·

j’ai un corps longiligne

je m’écoule comme si j’étais le feu imperceptible

d’une fontaine de cris

Sac

Un loup rôde dans mon âme

Les larmes tremblent à la lisière d’une forêt de rides

petites branches vides que laissent les secondes quand elles sondent le néant

Quelle est cette mécanique qui décide des rives

qui trace les pays épargnés par les tempêtes de pourquoi

L’endroit où je ne suis pas une proie devient toujours de plus en plus étroit

Un loup rôde sur mes voies et ameute les pensées creuses

Comment éteindre cet incendie de cris

rompre sa course vers la folie.

Porcelaine

Arteries and veins of the heart

Il ne sait pas se tenir    mon cœur quand il se penche sur le tien

Il est comme une source     Il ressemble à une valse    mon cœur   il tourne  il bondit  il brûle il sent les flammes de toutes les folies et le soufre mon cœur

Il s’oublie pour le tien   mon cœur sur ta main

il étonne

Il se laisse traverser par de fines rivières mon cœur   On dirait qu’il est fait pour aimer les dentelles  pour danser sur les feuilles  pour s’iriser  mon cœur

rien ne le tourmente  mon cœur  il ne connait pas l’ennui  il n’émet pas de cris

quand il pleure

il s’épanche sans faux plis    avance comme la mer   mon cœur quand il est dans le vague

il mange la lumière dans ta main

brasse la rosée   se cache pour exploser

il est doux et soyeux    ton cœur dans le mien

il est rouge  il est roi

il est en porcelaine   mon cœur       quand je suis près de toi

il n’a pas de porte   pas de barrière en fer

pourquoi faire

il ne hait pas ses frères   mon cœur   il ne bat pas ses sœurs      mon cœur

il jette ses éclats de rire  par terre       mon cœur

il ne broie pas le noir     il ne tue pas l’espoir     il ne conçoit pas le crime

il ne bat de l’aile       mon cœur

puisqu’il t’aime.