Prodigue toujours ta beauté sans compter ni parler. Tu te tais. Elle dit à ta place: je suis, puis en multiples sens retombe, tombe enfin sur chacun. Rainer Maria Rilke
Le temps s’étire comme un chat sur la mer on aperçoit ses rayures et ses griffes ivoire il réapprend à lire les feuillages les aiguilles les hampes les fleurs
sur la feuille du jasmin la fourmi explore un nouveau monde
la régularité profonde des nervures
et les bords verts sertissent l’ombre
de l’arbre conquis ou presque par le reste de la colonie
temps et fourmis cherchent inlassablement à se souvenir des secondes si difficiles à oublier quand on est bêtement un humain qu’on entend les voisins se faire la guerre à coups de cris aigus et graves alors qu’on espère le merle, la grive musicienne et les rubans de brigands brillants picorant le ciel une giclée d’hirondelles
D’abord il y a les oiseaux qui
proches ou éloignés
étalent une vaste broderie de cris
de sifflements
ensuite il y a les fleurs
dont le silence est rompu
par les pollinisateurs
et puis enfin il y a la mer
qui ne dit plus rien
ne va plus nulle part
J’entends le train fendre la nuit et s’enfuir au loin, je connais fort bien les quatre coins de mon alcôve. La porte est fermée à clef ainsi que toutes les autres portes qu’elles mènent à un couloir où à une cour intérieure.
J’entends les feuilles du peuplier effleurer doucement le cadre de ma fenêtre et se jouer du vent. Je sens mon cœur se chiffonner comme les papiers de mes cahiers. Jeté au fond de moi, il y a ce poids qui me rend coupable de chacun de mes gestes, de toutes les pensées qui ne vont pas vers Dieu et la sérénité. J’ai peur de la nuit lorsqu’elle se met à gronder, à s’inonder de monstres impalpables, à me déshumaniser. La vie éclate à l’extérieur de moi, elle se peuple de mots et de cris qui ne me ressemblent pas. C’est un miroir qui ne me reflète pas. Je ne ressemble pas à ce qu’elle attend de moi. J’ai raté tous mes auto-portraits.
L’ange gardien qui m’accompagne au quotidien ne chante jamais de louanges à la beauté du rêve, à la somptueuse saveur des fleurs qui fleurissent sauvagement dans les prés. Il ne regarde pas la douceur de l’oeil brun ombragé de cils du cheval qui broute, curieux et insouciant. Il n’écoute jamais les mouvements de la tristesse dans mon ventre et dans mon âme. L’ange gardien ne se préoccupe que de mes incompétences et de tout ce qui porte le nom de péché, impureté, désobéissance.
J’attends immobile, esseulée, couchée sur mon lit. J’attends que la nuit passe en ne faisant pas d’autres bruits qui me froissent et me confrontent à ma captivité avec toujours plus de froideur.
La réalité est que je ne sais rien, ne comprends rien, n’arrive à rien, ne désire rien avec avidité et sans pudeur.
J’ai gardé mes douze ans dans mon cœur et demain, c’est décidé, je m’échapperai en sautant par dessus, les barrières, les ponts, les haies et je prendrai le large, je m’envolerai très loin, le plus loin possible de l’impitoyable réalité.
Tu as cru que je viendrais portée comme une note de musique par des auréoles colorées.
Tu croyais que tu pourrais me prendre dans les bras,
me récolter dans tes paumes, me contenir dans un songe.
Tu voulais m’apprivoiser, tu pensais que mes rires soulageraient tes blessures. Tes petites entailles par lesquelles le monde se faisait sentir et semblait parfois ressurgir de tes plus sombres profondeurs.
Tu ne guériras pas de ce que la vie a maintenant fait de toi.
Ma tendresse est trop molle et mon silence avance comme les marées noires : il arrivera trop tard. Ton cœur est déjà froid.
Ton propre souffle est en train de t’asphyxier.
Sous ton œil, le cerne dessine comme un croissant de lune bleuâtre et dans ton ventre,
le noyau vicié d’un soleil écarlate tremble en entendant au loin les premiers cris de la mort.
Il ne sait pas se tenir mon cœur quand il se penche sur le tien
Il est comme une source Il ressemble à une valse mon cœur il tourne il bondit il brûle il sent les flammes de toutes les folies et le soufre mon cœur
Il s’oublie pour le tien mon cœur sur ta main
il étonne
Il se laisse traverser par de fines rivières mon cœur On dirait qu’il est fait pour aimer les dentelles pour danser sur les feuilles pour s’iriser mon cœur
rien ne le tourmente mon cœur il ne connait pas l’ennui il n’émet pas de cris
quand il pleure
il s’épanche sans faux plis avance comme la mer mon cœur quand il est dans le vague
il mange la lumière dans ta main
brasse la rosée se cache pour exploser
il est doux et soyeux ton cœur dans le mien
il est rouge il est roi
il est en porcelaine mon cœur quand je suis près de toi
il n’a pas de porte pas de barrière en fer
pourquoi faire
il ne hait pas ses frères mon cœur il ne bat pas ses sœurs mon cœur
il jette ses éclats de rire par terre mon cœur
il ne broie pas le noir il ne tue pas l’espoir il ne conçoit pas le crime