Prodigue toujours ta beauté sans compter ni parler. Tu te tais. Elle dit à ta place: je suis, puis en multiples sens retombe, tombe enfin sur chacun. Rainer Maria Rilke
Ton petit visage d’enfant s’emplit de larmes qu’est-ce que tu fais là au bout de l’allée appuyé à ta propre pierre tombale tu as le visage de celui qui tombe pour la première fois d’une montagne
j’attends inlassablement que la vie te relève
et parle des vrais maux
à plein poumons
mais les silhouettes en cortèges lourds répercutent les dociles invitations à saluer la mort
C’est encore l’hiver pourtant quand elle ouvre la fenêtre
c’est le printemps qui entre grains de mimosa dans la chevelure une parure de pétales de giroflée posée sur les épaules
il illumine de son regard chacun des livres anciens de la bibliothèque
il en réveille quelques uns d’autres roussissent jusqu’à se faner et périr d’illisibilité
il s’assied dans le fauteuil du père défunt
chaque feuillet posé sur le bureau espère encore la signature du maître mais
la porte claque lorsqu’elle referme avec brutalité la fenêtre
elle attend de voir comment le printemps prisonnier va s’y prendre pour s’échapper
fuir elle en rêve depuis tellement d’années aller librement sans la moindre arrière pensée
aller là où le regard lourd du vieux ne va pas poser de nouveaux problèmes être hors de porté du geste grossier qui la condamne à chaque fois
le plancher grince dans le couloir quelqu’un crie de hisser la voile la demeure familiale devient enfin une caravelle ne manque plus que la houle folle et l’ivresse
un fantôme tient déjà le gouvernail est à la barre usurpe le pouvoir
le printemps son printemps à elle les voilà dans la cale
Elle ouvre la fenêtre c’est l’hiver pourtant elle décide de jeter l’ancre là dans le jardin près de l’acacia en train de fabriquer des milliers de soleils pour d’autres univers.
Quelque chose semble ne jamais guérir une blessure éternelle hante
J’ai essayé plusieurs fois de chasser ce spectre ou de le comprendre
sa réponse est toujours la même
:
c’est pour te prémunir
L’angoisse féroce comme si j’habitais la grotte de mes ancêtres
ce qu’elle cache je n’ose le regarder en face c’est l’exploitation par des humains de mes terreurs animales
c’est cet instant où tu sais que tu es brisée parce que tu es décidée à ne plus jamais fondre en larmes
l’éducation par les « ça t’apprendra » « ça te fera une belle jambe » pour touiller dans la vase
serais-tu coupable d’avoir osé avoir mal
parfois tu en viens à vraiment vouloir cette mort dont tu n’avais même pas l’idée qu’elle puisse exister des heures où l’on t’abandonne dans un fossé sur une civière un drap noué pour calmer la douleur
les murs n’arrêtent pas de te susurrer que l’unique façon de résister est de se suicider ou se scier en plusieurs morceaux épars
tu restes là avec les os qui se tordent l’âme qui se froisse un corps qui t’abandonne et les nerfs te font croire qu’à la place des ailes tu n’as désormais plus que des moignons brisés
la petite porte sur l’articulation meurtrie par laquelle quand tu l’ouvrais s’évanouissait la douleur purulente reste fermée la rotule voyage comme une comète tu regardes la brûlure froide qu’elle laisse dans le regard de ceux que tu prenais pour des frères