Hybrides

 

Paul Rockett: Glenn Gould’s Hands, 1956
Paul Rockett: Glenn Gould’s Hands, 1956

Ses mains sont semblables aux nuages qui accueillent le soleil quand il se pose sur la mer et se gorge de roses et d’oranges.

Ses mains invitent souvent les souvenirs et les saveurs à former des jardins.

Mon esprit soudain comprend comment et pourquoi les iris obtiennent ces dégradés impossibles de jaunes et de blancs ayant la texture du sucre et le goût soyeux de la crème.

Ses mains d’un geste vif et précis racontent toute l’efficacité des pensées qu’elle cultive avec ferveur et passion depuis toujours. Ses mains me proposent quand elles se posent sur mon sein de découvrir ma liberté, petite libellule, elle épouse le bleu et le vert dans un vol presque statique.

Dans le creux de ses paumes se blottissent deux petits cœurs hybrides, mûres ou framboises, ils n’ont pu se décider que d’être les deux à la fois. Qui oserait les manger ? Alors qu’ils semblent simplement vouloir n’aimer que l’âme.

Les fleurs folles qui les ont enfantés ont vu la mer et ses petites colères se colorer de turquoise.

Les étranges petits rubis scintillent éparpillées amoureusement dans les velours du jour.

Pour protéger la beauté farouche, pour qu’elle se choisisse plein de chemins qui ne porteront jamais de nom ni de définitions, ses mains comme le jasmin parfument mes palais.

Latente

 

 

L’aileron du requin

L’apparition évanouie d’une simple symphonie dont on ignore l’origine

Le corps perdu de Morphée

La danse lumineuse d’une chevelure libérée des nœuds qui s’accumulent au cours d’une vie

Le dard de la raie après les caresses inouïes de ses nageoires de velours noir

L’impérial nuage argenté de milliers de petits visages curieux

La fleur mystérieuse qui éternellement voyage en happant le ciel

Le spectre de la certitude qui malgré les évidences que m’offre l’univers en se laissant transpercer par mon regard s’échappe tranquillement et se met hors d’atteinte.

 

 

J…..

Lorsque la nuit se retire

comme la mer à marée basse

elle me laisse en face à face

avec un jour dont je n’aperçois pas encore les côtes

Il faut que je voyage en te suivant à la trace

Autour de toi la froide nuit n’existe pas

Les flots de lumière embrassent tes pieds

Il y a que toi qui puisses ainsi irradier la Beauté

Il n’y a que toi qui puisses me faire croire que le monde

marche à pas de velours comme les chats.

L’oubli

Présents Absents, John Batho

Λ

Un violon recense la lumière qui danse

autour de ma solitude comme autour d’une souffrance ordinaire

sans un grincement cette sourde rivière se soulève et erre

cherchant de l’ombre pour un instant

elle serpente et croit

se reconnaître dans le velours et les volutes de cette fleur noire

au milieu de nulle part

pour un instant il me semble qu’à pas d’épines

ma solitude s’ouvre aux souffles verts

venus de la mer

qu’elle sombre et se dissipe

comme si enfin je pouvais oublier qui je suis

Saturne

Saturn’s A Ring From the Inside Out

La réponse n’existe pas. Il n’est que des questions, des terrains vagues ou des mers de désolation. Toutes les traces que tu prends pour des preuves, ne sont que les indices de ton errance éternelle. Toujours, tu reviens sur tes pas , meurtri ou guéri, consolé ou ébloui. Il n’est que l’exil. Il ne coule nulle part ailleurs, ce fleuve bleu gorgé d’étoiles, que dans le regard que tu portes sur le monde. C’est de toi que ruissellent toutes les promesses, c’est de toi que suintent l’abandon et la désespérance.

Si tu cesses de lui faire porter des perles et des velours, si tu cesses de lui confier tes rêves comme la sève aux nervures des feuilles, comme les spores aux vents, il n’est plus rien le monde. Sa table est dévastée, les lits de ses rivières sont vides et il est silencieux. Désertique et solide, il tourne autour du vide. C’est ton travail de fourmi, comment tu le décortiques et pourquoi tu le questionnes inlassablement qui tisse le nid pour reposer ton vol ou les filets pour retenir ta débâcle. Ce sont les détours de tes rivières qui laissent leurs alluvions dans les coudes.

Un jardin

Olga Ziemska

Quand je respire un océan de lavande entre dans mon ventre, son parfum se mélange aux tiens dont je garde la formule secrète. Quand je me tiens debout et chancelant, je sens ta main se poser sur mes reins. Dans mon dos, ton soleil me réchauffe. Je n’ai besoin de rien d’autre : toi pour une éternité.

Tu voyages dans mes veines, tu propulses mes rêves, tu sièges dans mes pensées, tu règnes dans mes aspirations, il n’est pas une parole qui ne trouverait sa source sur les rivages de ta bouche. Tes idées s’accouplent aux miennes, ton rire réinvente mes silences.

Même loin, exposée aux embruns, tu te poses furtivement à côté de moi. Nos doigts se chevauchent, nos baisers se querellent follement. Comme j’aimerais parfois ne plus être qu’un de tes grains de beauté, me lover comme un tout petit chat dans le creux de ta nuque. Caresser du regard la grâce de ton corps nu quand il plonge dans tes draps, te surprendre à la nuit venue ébauchant déjà le futur pour qu’il soit chatoyant.

Un jardin m’est poussé dans le cœur. Libre et sauvage, il se laisse fertiliser par le vent, grandir sous la pluie, mûrir savamment. Il s’éteint ou s’allume comme les étoiles. Il marche à pas de velours, chante tout bas, fait ce que bon lui semble. Il s’enflamme de branches et avance.

Larmes d’anges

source

En tourbillonnant dans la neige, la forêt est entrée dans mes bronches. Elle est passée par mes narines et par ma bouche, par mes yeux et au travers de mes mains. Elle a fondu sur ma langue, elle avait le goût du vent et de la nuit.

Par petits flocons, en dispersant ses plumes blanches, la forêt avançait en sautillant sur les routes. Sur les voies d’eau, elle se laissait flotter et puis disparaissait comme une lueur, happée par le fond ou par un cri.

La forêt avait de larges feuilles à étendre, ses nervures me traversaient le front et les joues. Je n’avais pas froid, j’étais incendié. Elle me parlait tout bas en laissant planer le doute, m’autorisait à broder des phrases par petits bouquets. La forêt voulait m’apprendre à la regarder de plus près.

Du ciel, il tombait des larmes d’anges sur mon pays. Cela n’avait rien de triste. Il me semblait que la neige voulait gommer l’hiver. Effacer les arbres noirs, abolir la mélancolie brune des branches et habiller le vent d’un manteau de velours blanc. J’aurai pu penser que la forêt se mettrait à chanter, à danser dans mon ventre et dans mes veines. Mais soudain, j’ai compris que tu étais parti cette nuit, dans les bras de la tempête que j’étais seul à admirer.

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