Le petit chat regarde un bruit se poser sur l’eau, il en perçoit l’onde étrange et lumineuse. Il attend qu’elle se débatte, qu’elle fleurisse. Il guette la goutte qui deviendrait papillon et puis comme d’autres bruits plus puissants effleurent les soies de ses moustaches, il s’éloigne à pas lents, silencieux et dont les ondes par cercles concentriques se rejoignent et se quittent. Un tableau musical sans musique, une toile sans autres fibres que celles qu’utilise mon esprit pour se regarder se construit. Une histoire sans but, sans sujet, sans aucune habitude vient de naître et puis de disparaître à jamais.
petit chat
Les forêts de chênes
Se mêlent à moi les chansons étranges d’une dizaine de voix car sous mes pas, sous les ondoiements de lichens et de mousses, sous les feuilles séchées et celles qui sont devenues de la poudre, s’étend un vaste réseau de veines où roucoulent les eaux d’une source. Se superposent aux chants minuscules, le silence solide des racines de chênes dont les troncs sobres et fiers portent des couronnes de feuilles. Toutes picorent dans le ciel la lumière comme si elle contenait des graines.
Mon regard sautille d’une branche à l’autre en savourant le froissement frais des feuilles, les contrastes joyeux et discrets de verts foncés et de blancs argentés. Les chênes centenaires se partagent la partie du ciel qui caresse leurs cimes. Ils ne laissent que les miettes tomber à mes pieds comme pour me chatouiller.
Je sens en moi, cette autre vie surgir et hennir. Je sais que je ne suis pas qu’une petite fille, mes fidélités à la rêverie m’autorisent à devenir n’importe qui, n’importe quoi et si je choisis, je suis souvent un cheval invisible. Mes naseaux sont larges et se gorgent de parfums, ma peau se sensibilise aux bruits, aux changements d’attitudes du monde autour de moi sans plus chercher à comprendre pourquoi. Mes questions ne trouveront jamais de réponse. Je perçois cet agencement des choses totalement autrement que du haut de mes huit ans. Les difficultés, les laideurs de la société humaine qui m’effraie, s’écartent alors de mon chemin. J’ai l’impression de dépasser des limites sans me faire d’illusion sur la réalité quotidienne que j’affronte sans parole.
Le quotidien, c’est une solitude permanente au sein d’une humanité grouillante, c’est le ronron de mon petit chat contre les râles titubant de ma mère dont le verre de vin jamais ne se vide. C’est un curé stupide qui me refuse le droit de l’assister aux cérémonies parce que je suis une fille. Le quotidien ce sont des professeurs qui crient parce que nous, les enfants, nous n’arrêtons pas de faire des conneries, de commettre des erreurs, d’écrire des fautes.
Dans la forêt, je suis libre. Cheval ailé, je surprends les yeux bruns du faon, et le cœur de la grenouille qui bat à la surface lisse et brillante de sa peau. Je suis un rebondissement de la vie. Mes ailes sont une forteresse légendaire, le déploiement d’une armée en guerre, victoires et défaites perforent le trou noir de la cruauté. Parfois, je tremble. Mes ailes sont comme si l’ensemble des nuages s’apprêtait à déverser toutes leurs inquiétudes en une seule et même pluie. Parfois, j’ai peur et je pleure. Mes ailes découvrent la nuit, dévoilent les étoiles et les galops de la lumière pour parvenir jusqu’à la terre. Je me sens faire partie de l’infini jeu de patience qu’est ma vie.
Un jardin
Olga Ziemska
Quand je respire un océan de lavande entre dans mon ventre, son parfum se mélange aux tiens dont je garde la formule secrète. Quand je me tiens debout et chancelant, je sens ta main se poser sur mes reins. Dans mon dos, ton soleil me réchauffe. Je n’ai besoin de rien d’autre : toi pour une éternité.
Tu voyages dans mes veines, tu propulses mes rêves, tu sièges dans mes pensées, tu règnes dans mes aspirations, il n’est pas une parole qui ne trouverait sa source sur les rivages de ta bouche. Tes idées s’accouplent aux miennes, ton rire réinvente mes silences.
Même loin, exposée aux embruns, tu te poses furtivement à côté de moi. Nos doigts se chevauchent, nos baisers se querellent follement. Comme j’aimerais parfois ne plus être qu’un de tes grains de beauté, me lover comme un tout petit chat dans le creux de ta nuque. Caresser du regard la grâce de ton corps nu quand il plonge dans tes draps, te surprendre à la nuit venue ébauchant déjà le futur pour qu’il soit chatoyant.
Un jardin m’est poussé dans le cœur. Libre et sauvage, il se laisse fertiliser par le vent, grandir sous la pluie, mûrir savamment. Il s’éteint ou s’allume comme les étoiles. Il marche à pas de velours, chante tout bas, fait ce que bon lui semble. Il s’enflamme de branches et avance.