Il y a des mots qui n’existent pas. Ils flottent dans le vide sans que jamais personne ne les appelle. Pour eux, ils n’existent pas de catégorie, de règle qui leur donnerait un quelconque sens. On ne sait même pas s’ils attendent de se trouver une chose, un précepte, un commencement d’idée pour se fixer.
Ici, j’ai appris à reconnaître les mots. Il y a ceux qui conviennent et ceux qu’il convient de ne pas prononcer. Il y a ceux qui durent toute une phrase, toute une strophe, tout un poème, toute une vie ou ceux qu’on oublie si tôt qu’on les a prononcé. Il y a des mots pour les jours de pluie, des mots pour l’amour, des mots pour la nuit et même des mots pour le silence et la mort. Tout trouve une place.
Pour venir jusqu’aux gens, il faut que je mette des gants à mes mots. Certains, m’a-t-on appris, sont tranchants comme des lames de couteaux, d’autres sont bien trop doux ou trop beaux, ils sont presque transparents, on peut à peine les voir et presque pas les entendre.
Certains mots mentent tellement mieux que moi, que je les laisse parler pour moi. Ils me dépassent et je leur cède largement la place. Pour les penser et les dispenser, je ne me sers pas de ma voix, je les écris. Je les écris tellement fort qu’il leur arrive de faire trop de bruit. Certains sont des leurres et d’autres ne sont qu’à moi. Ils sont insolents et n’ont jamais mal au coeur. Ils font pleuvoir les insultes, parfois.
En dehors du monde, qu’on a pris soin de nommer, pour lequel une place est accordée à tout et à n’importe quoi, au delà du monde des noms, de leurs règles et des chemins qu’on suit pour les connaître, il existe un monde où les mots n’ont pas encore trouver de place, ni derrière une virgule, ni devant un point. Il est un monde où les mots ne suivent pas comme des agneaux le fil de la phrase. Ils vont sans grammaire, sans savoir, sans lois, sans dictionnaires, où bon leur semble. Il existe un monde où tout reste à écrire.