Prodigue toujours ta beauté sans compter ni parler. Tu te tais. Elle dit à ta place: je suis, puis en multiples sens retombe, tombe enfin sur chacun. Rainer Maria Rilke
Ton corps comme un nuage en fleur est allongé près du mien. De petits papillons aux ailes transparentes comme l’air le butinent fébrilement.
Ton rire, ton souffle, tes parfums forment des tiges et des enlacements plein de nuances.
Mon corps devient celui de la nuit et puis celui tout petit de l’arapède sur le rocher. Une invisible certitude nous lie l’une à l’autre. Nous échangeons nos plus précieux baisers comme des perles sacrées.
La lune et toi, partagez la même lumière, les mêmes silences, la même éternelle assurance.
Etude de couleurs, carrés avec des cercles concentriques (Farbstudie Quadrate, vers 1913) Wassily Kandinsky
Douze pupilles me regardent mais j’ai l’impression qu’elles sont bien plus nombreuses et qu’elles ne regardent pas que moi. Elles sondent le monde au-delà et en deçà. Elles effleurent des surfaces ou plongent vers les profondeurs.
Les iris colorés dansent et tournent comme des cerceaux. C’est un jeu de devinettes qu’on me propose. Ces étranges planètes rouges, jaunes oranges, vertes, bleues et violettes me font tourner de l’œil et perdre la tête. Comme s’il fallait que je sois dérangée, ivre pour être à leur écoute.
Je songe à ce qu’elles voient de moi mais surtout à ce qu’elles me font découvrir. Un système s’interroge lui-même, sur les lois et les rapports de forces entre les formes et les couleurs, entre les idées et la réalité et ce que sont mes sentiments. Sont-ils dans le bon ordre, ces cercles irréguliers de couleurs? Qui sera le vainqueur ? Existe-t-il un milieu, où se trouve le début alors que la fin semble surgir au bout de moi?
Douze propositions m’interrogent sur mes perceptions de la réalité et me font à nouveau douter du tout. Je sens qu’aucune position n’est stable et qu’il me faudra toute ma vie me questionner sur les sens et sur l’utilité d’en avoir un entre les mains, un seul rien que pour soi et qu’on trouverait si bien qu’on voudrait qu’il soit aussi pour l’autre, pour celui que je ne connais pas.
Il me faudra acquérir des certitudes puis les jeter dans le brasier comme on jette les dés pour jouer, ou ses doigts sur un clavier pour produire un incendie de sons, une infinité de nuances. Il me faudra continuer de chercher, voyager sur plusieurs niveaux. Escalader les couleurs, passer de l’arrière plan au devant de la scène et puis à nouveau disparaître. Démonter les rouages et inventer de nouveaux questionnements pour meubler l’espoir d’un jour trouver une solution à ce qui a priori n’en a pas.
Un chemin recouvert de feuilles mortes cherche à se dissimuler parmi les racines et les accalmies de la pluie. Ainsi, j’avance dans la ville, seul, à couvert et sans certitude aucune sur ma route. Les nuances de mon agitation interne n’apparaissent que dans l’enchevêtrement de branches nues. Chacune porte sur la peau la couleur verte du vent quand il se mélange à la pluie, la couleur brune et sombre de la vie.
Mes trajectoires imaginaires sont cartographiées par des branches qui comme des rues traversent le ciel gris. Elles me montrent mes innombrables contradictions, mes retours en arrière mais elles ne m’interdisent aucun nouveau questionnement, elles explosent les cages, elles enjambent les pièges d’une réalité imparfaite que je devrais endosser comme un vêtement qui n’est pas à ma taille. Je traverse la vie comme un félin et non pas comme cette ombre fluette, ce spectre qui ne représente que la plus infime partie de moi.
Il est vrai que certaines de mes craintes me freinent, que mes désistements déçoivent et que mon apparence ne trouvant aucun des mots surgis des convenances dérange. Il est vrai que parfois je me sens aussi vide que le monde, aussi nu que vos silences.
Mes idées sont tellement tenues et têtues qu’on ne parvient plus à croire que j’avance. On pense que je suis une écorce sans force. Ma solitude est un bouquet de traits tremblants, de lignes friables, de secondes et d’heures qui s’entrechoquent avec minutie. Ma solitude est patiente et se laisse caresser par les regards attentifs et tendres. Elle ne me fait pas peur, elle ne me rend pas toujours malade. Elle m’offre des lignes de fuite et s’ouvre sur ces sentiers sans formes par lesquels s’échappent les spores d’une autre réalité.