Éveil

Photography of Iceland’s volcanic rivers by Andre Ermolaev

Je suis les v du vent qui survolent éternellement les vagues

et se partagent l’écume à coups de bec et de cris.

Je suis le v de tes lèvres , les ailes à franges rouges de tes baisers font du triangle de mon sexe un delta qui efface les distances.

Je suis la victoire du bleu sur les vers, du blanc sur le temps, de l’encre sur le papier.

Je suis le vol du vautour qui de ses sommets poursuivant les coups de nageoire de la nue,

plane sur la mort en lui dessinant une auréole de paroles presque invisible à l’œil nu.

Mise en abîme

Nicholas Kennedy Sitton
Nicholas Kennedy Sitton

Au fur et à mesure que l’obscurité se retire, mon visage se creuse d’ombres à l’endroit des yeux, des joues,  de la bouche. Je n’ai plus de regard, plus de parole et lorsqu’enfin sort de mon sein ce qu’on pourrait prendre pour un chant, on comprend qu’il ne me reste presque plus rien au dehors de ce corps et de son faible écho.

Je sers de socle à un langage rigide et désarticulé. Mes bras que je prenais pour les ailes agiles de mon imagination sont les moignons maladroits et pourris d’une existence qui n’a pas pu prendre de la force. En pleine dégénérescence, mes mains au lieu de porter des fruits fabuleux, tremblent en exposant les rides et les ravins de mes solitudes. Toute ma stature osseuse est une construction fragile en train de perdre l’équilibre. Elle s’élancerait vers le vide si elle n’était retenue par le point nu et frémissant d’une pupille.

Au fur et à mesure que la lumière progresse, que le jour s’avance la queue entre les jambes, je laisse dans les miroirs l’empreinte presque effacée d’un spectre. Ai-je jamais vraiment été quelqu’un qu’on a aimé ? Autour des souvenirs, rampe un serpent silencieux de gestes et de pensées, une habitude vive de respirer sans plus rien à avoir à espérer.