Prodigue toujours ta beauté sans compter ni parler. Tu te tais. Elle dit à ta place: je suis, puis en multiples sens retombe, tombe enfin sur chacun. Rainer Maria Rilke
La porte du placard grince. Quelque chose surgi de très loin pince la plus grave corde de la guitare qui dormait en moi. Le son sombre suivi de quelques accords plus lumineux rassemble assez de force pour formuler en moi l’encolure de l’Andalou-Cartujano. Sa souplesse, la rondeur de ses allures nobles gagnent mon coeur en le soulevant. Le galop me révèle une force docile que je soupçonnais avoir totalement disparue de mon coeur. Un reflet argenté et pommelé se diffuse et propage partout autour de moi une forme majestueuse d’apaisement. Une oreille attentive, un oeil enjoué attendent que je les accorde à ma joie. Un jeu qui va chatouillant ma voix.
La guitare poursuit et effeuille les sentiments oubliés. Elle transforme la nostalgie en quelques coups de pieds puissants, le sol n’est plus qu’un nuage nébuleux exaltant dans son souffle une poussière d’or.
Je n’ose plus même effleurer la porte de peur que partent bien loin de moi à nouveau la guitare et ses cordes vocales veloutées capables d’évoquer au delà de la tristesse, une noblesse qui se sait sur le point de disparaître. Quand la chanson sera finie, elle sera morte et pour renaître, je ne sais pas vraiment ce qu’elle attendra.
Jouer à l’infini avec le grincement d’une porte de placard agace ceux qui vivent autour de moi. Ils n’entendent pas la guitare, ils ne voient aucun cheval et ne reconnaissent pas dans les parfums qui s’évaporent de l’Andalousie. Ils n’entendent peut-être déjà que ce qu’ils veulent entendre: la plainte insupportable d’un tombeau. L’approche irrévocable d’une maladie qui brise les os, ronge la mémoire, altère les espoirs.