De la mer

Gerhard Richter, oil on canvas, 1969.

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De la mer, il ne reste plus que le ciel, son reflet à peine bleuté.

Á la place des vagues, quelques nuages ondulent faiblement.

Là, comme déposés par un pinceau papillonnant, les quelques 

traits noirs d’une barque. Elle porte au milieu de nulle part  le 

corps vouté d’un personnage. On ne le reconnaît pas.

Le paysage implore un questionnement, s’oppose à ce qu’il

est habituellement, fluide. Muette est la réponse, elle se fige

à peine. La lumière circule toujours librement, déplace les graines

des secondes sans qu’on s’en aperçoive, sans qu’on dispose du

langage pour l’exprimer. Dire c’est dilapider.

Dans le paysage se figent les figuiers, ils ont déjà perdu toutes leurs

feuilles, la rosée et la brume. Le parfum de la terre humide. Les bordures 

de l’aiguille rognent les quelques traces d’obscurité. Se pointe et se résume la virgule au cri de l’oiseau comme 

si quelque chose d’amer restait coincé dans ma gorge et finissait par

germer à l’abris de la lumière. Dépourvues de chlorophylle, de sa parole de

verts flamboyants et croquant la vie, l’aubépine, la bougainvillé ou l’acanthe 

s’éteignent irrémédiablement. Aucun geste même doux et docile, même aimant, même innovant ne rend vraiment la vie aux temps passés qui cogitent encore

dans l’esprit et ne finissent d’habiter mon âme à la manière des roches

des perles et de toutes nos parcelles d’éternités.

Aux chats

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Life’s a Stretch- Lynn Smith Stanley @Sliverpoem Studio

La nuit cette étrangère refuse de passer ma porte

ouverte

elle siffle et grince de tous les insectes qui l’habitent

ivres

ils  préfèrent être

entendus plutôt que vus et

dévorés

la nuit est fraîche la pluie est encore sur la colline et la lune est de ce côté-là.

la nuit danse ou marche  ou est-ce    sa soeur la mer

qui jette vers la lumière des papillons d’écume

soudain gracile

la petite féline fait son entrée

elle trottine vers la cuisine où des parfums alléchants de nourriture

l’attendent

elle mange

et puis part 

la nuit a quelque chose à lui dire

le secret hallucinant qu’elle réserve aux chats

seulement

Laie

Le jour quitte le jardin en se dirigeant vers la mer. Il traverse le maquis alors que le soleil une dernière fois, redessine les contours des fleurs. Certaines sont plus lumineuses qu’en plein après-midi. Les roses ont des pétales de glace. Il est temps de rappeler le petit chat.

Il est sur le muret. Songeur, comme le sont si souvent les félins. Patient, attentif, il fait semblant de n’avoir pas entendu mon appel. L’observer de loin, me permet de m’initier à son petit monde, d’en apprécier l’aspect sauvage et des détails qui m’échapperaient probablement car quand il répond à ma présence, il n’est pas le même chat. 

Derrière le muret, dans le maquis, les buissons de myrte et de ciste tremblent de la racine à la dernière feuille sur le point de plonger vers la nuit, d’une manière étrange et qui ne leur ressemble pas. Je m’approche et vois, ce que le chat observe depuis de longues secondes: une laie et ses marcassins. Elle laboure la terre à la recherche de nourriture. 

Il y a des mois que je cherche à m’approcher de cet animal dont j’avais remarqué les empreintes dans la forêt de pins et d’eucalyptus. Là, elle n’est plus qu’à quelques mètres de moi. Imposante, fabuleuse, elle pose sur moi son regard de fruit d’automne, brun et brillant, presque doux. Ni elle, ni moi, ne songeons à la peur, à la fuite. La curiosité suspend le temps. Pourtant, j’acquiers le sentiment qu’une pareille opportunité ne me sera pas offerte une seconde fois. J’aimerais fixer la brillance de ses soies malgré la pénombre, la force limpide de sa nuque, le calme qui se détache de cet être qui me fait savoir que rien ne l’apprivoise, que rien ne peut mettre fin à sa détermination, à son courage. Pourquoi se donne-t-elle ainsi à mon regard? J’ai du mal à admettre qu’il s’agit d’un des fruits du hasard. Ce genre d’animal est au dessus, au-delà de ce que je pourrais prendre comme un présage. Mon esprit n’a pas envie de tracer des frontières infranchissables entre ce que je vois, ressens et pressens et ce qu’on dit exister seulement dans mon imagination. Je sais parfaitement quand elle déborde et c’est durant ces moments que je me sens le plus proche de l’existence. Qu’importe si cette existence n’adopte pas les lois naturellement admises et permise par le monde des humains tristes qui m’entourent carabines à l’épaule. Le poids d’une arme ne pèse jamais sur leur conscience.

Cette rencontre furtive, inattendue et presque improbable me conforte dans ces idées de partages des lieux, des époques avec de multiples réalités qu’il ne m’est parfois permis que de supposer. Mes rêves existent. La laie vit là, juste à côté de moi, si je ne peux faire le choix de la voir, je peux faire celui de la savoir. 

Empreinte

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Zheng Xie (Zheng Banqiao) Qing Dynasty 1693-1765

Soupir. Un petit mot jeté au fond de moi comme un caillou dans un puit.

Une gorgée d’encre et de silence

Une poignée de hululements lents élue

La nuit, le vent déplace les gros rochers de la colline, marche à pas de géant, avec une chevelure de vagues en colère.

Le jour, la colline me regarde depuis l’endroit qu’elle occupe depuis toujours. Pas la moindre empreinte de pas. Juste un ruissellement anodin de lumière sur les rochers.

Des larmes qui ne ressemblent pas au chagrin.

L’épine du pied

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Doubt it, Cynthia Grow Source: instagram.com

je me suis placée à l’extrême bout d’un papier déchiré

et j’ai regardé droit devant moi l’île en faire autant

chaque partie d’elle même voulait intensément la mer

non pas dans les petits morceaux de ses vagues

dans une perdition d’écumes caressantes et d’aubes naissantes

de là, je suis partie vers l’écriture menacée sans sentir sur mon désir la moindre menace d’un réel prédigéré

au rythme du mot naissant sous mes pas de crayon promeneur envahi de silence et du bruit que fait un grain de poussière caressant un autre grain de poussière à la recherche d’un autre lui-même,

à ce rythme-là et non pas à celui qui mesure malgré lui, j’ai parcouru l’île.

Morceau arraché à un tout de la blancheur par un geste qui défait insatisfait ce qu’il vient d’unir presque malgré lui.

il me reste à présent à le relire à moins que définitivement je décide de l’oublier entre les pages d’un livre.

Constellations cousines

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Bertrand Els © via https://elsacker.tumblr.com/

Cette âme sombre qui est ma soeur
trébuche constamment et tombe souvent
sur ces merveilles qu’aucun mot ne console
rien pour les propager dans le langage
rien pour les arrimer
comme si être-soi pour elles était
sans importance
le visage ensoleillé de la lune
est le seul miroir que j’ose regarder
en particulier lorsqu’il se trouble dans les lacs
lorsqu’il gonfle les brumes de la colline
ou titille les constellations cousines
il arrive pourtant que j’y reconnaisse
les yeux cavés, le souffle inondé de larmes
traits pour traits
cette âme sombre qui est ma soeur

cheminements

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les aiguilles comptent
le nombre de pas que font
les regrets avant de muer
les aiguilles tombent
sous mes pieds elles brûlent
en se froissant comme du papier
les aiguilles sondent l’azur
finissent par le reconnaître
et savoir ce qu’il ressent
là où moi j’ai un caillou un cœur
un nœud une pluie de pleurs
là où toi il ne te reste plus rien
pupille nocturne iris d’automne
sombre et dans mon rêve
des galops
rassemblés dans la douceur
arrondis patiemment et qui
ne s’éteignent pas

L’hiver

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Rogan Brown

Sous mes pas les oxalis
crissent
mais c’est mon cœur qui se froisse
comme si de moi on faisait
un bouquet de fleurs séchées
jamais elle ne se tait
cette chanson qui chuchote
acide âcre à meurtrir une rivière l’hiver
que nulle part je n’ai de place
au loin au large le soleil étire les ombres
des arbres voilà que les rochers montrent
leurs griffes de félin qu’on amuse
sous mes pas les oxalis crissent
les flux verts se laisser croquer
par mes pieds
un chœur des voix multipliées
découvrent le bruit que fait la vie véritable
qu’un vortex incroyable est sur le point d’émouvoir
est-ce la nuit qui vient de tomber?


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