Prodigue toujours ta beauté sans compter ni parler. Tu te tais. Elle dit à ta place: je suis, puis en multiples sens retombe, tombe enfin sur chacun. Rainer Maria Rilke
Dans les feuillages le vent est
Un petit cheval vert se cabre
Disparait puis après avoir bu
Le ciel revient plein de fougue
Derrière la colline vient de naître
Dans un lit de brumes
La lune avant l’heure
Les ruisseaux dévalent les pentes
On entend les troupeaux de roches
Le bruit de la pluie
Essences d’immortelles
Se répandent autour de la tombe
Du jour
le jeu inhérent au monde peut commencer
en même temps que le jour
je commence ma partie en le contemplant
pourquoi ne serait-il plus possible
de simplement admirer ce à quoi
je ne prête que des mots
peu m’importe qu’une voix
dans mon dos
répète qu’ils sont tous faux
le ciel est un pétale
la colline un fauve
la mer échange
brumes contre reflets et
ondes contre ondes
Avant de s’envoler dans le ciel
la colline arbore en son sommet,
un rocher aux couleurs d’aile de tourterelle.
La mer en remuant incessamment
permet au soleil de lui confier des grappes de raisin violet.
Quel plaisir puis-je donc éprouver à contempler et
à décrire ce qui est susceptible de ne jamais changer?
En renouvelant mes observations, j’oblige mes sentiments
à progresser vers d’infinies sensations sans jamais être
en mesure de me confronter à la réalité tangible.
Ainsi décrite la colline ne montre pas la face que je suis incapable de gravir.
GAO XINGJIAN 高行健 Moonlight 2014 / Au Clair de la Lune, 2014 Chinese ink on paper 35 3/5 × 37 in 90.5 × 94 cm
Avant de gagner la mer, la brume se repose sur les épaules des collines. Elle reprend des forces, s’enfle comme un énorme bourgeon jusqu’à changer de couleur. Parfois, elle se retire et choisi d’envahir l’autre versant du monde, celui que peuplent les forêts, les roches et leurs fines fontaines de dentelles blanches. Elle finit par se perdre ou par perler sur les herbes, les mousses ou les petites plumes argentées des buissons.
Le soir, je crois qu’assis sur le plus culminant des rochers, tu me regardes et m’attends depuis des années. À force de regarder ta silhouette se découper dans l’azur comme le vol d’un oiseau éperdu de hauteurs, mes yeux se mettent à briller et à presque pleurer. Finalement, je comprends que ton ombre si décidée est un buisson fulgurant que le vent a sculpté.
Le vent descend souvent de la montagne en se laissant glisser lentement, titillant à peine les centaines d’oliviers de la plaine et puis regagne le ciel dans un seul et même mouvement à la manière d’un cétacé qui soudain s’engouffre dans les cerceaux de bulles qu’il a lui-même dessiné. Alors, subtilement quelque chose qui s’apparente au silence reprend sa place à côté de mes organes vitaux, comme un fantôme, comme le souffle d’un mort, comme pour me faire comprendre à quoi ressemble la réalité. Réalité raisonnable à laquelle on donne le nom de « devoir », de « responsabilité » comme si assumer sa part toujours plus vaste de silence, de solitude face à la nature qui culmine au bout de chacun des regards, comme si « être dans la lune » n’était véritablement qu’une fuite en avant.
Parfois je pense que ceux qui ne rêvent pas, ceux que le silence n’hante jamais sont des irresponsables. Parfois je crois que le silence est la part la plus dense et la plus difficile à porter. Une motte de terre noire, les tripes de l’univers, j’aimerais toujours être en état de savoir ce qu’il faut en faire.
Parfois je sens que le silence est un champ de fleurs sauvages, les racines, les tiges, les corolles, les pistils se chargent de le retenir, de lui donner de la contenance car comme le sable des dunes, le silence toujours s’échappe, s’évapore entre deux mots, deux cris.