Pluie débordante

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Il pleut. Je suis un cheval. Je ne vais pas me mettre à chercher un abri. Il est trop tard et je veux rester là, les sabots plantés dans la terre. La pluie m’apprend à reconnaître mon corps. Trempé, le froid ne réussira pas à m’atteindre tel que je suis au fond de moi. Orgueilleux, têtu, ne voulant rien entendre.

La pluie a fini par se taire, les murs qu’elle dressait entre moi et l’horizon se sont évanouis, les prisons de gouttes se sont dissoutes. Soudain on me caresse entre les naseaux. Je n’avais rien senti venir peut-être étais-je encore en train de dormir. Debout, seul, dans la boue. J’ai voulu réagir en donnant un puissant coup d’épaule, l’oeil mauvais, les oreilles rabattues vers l’arrière en signe de protestation mais la paume était celle d’une enfant qui n’arrivait même pas à me toucher l’encolure. Sa main comme un papillon tentait de se poser pour une caresse. Je n’ai pas voulu la blesser. Je me suis laissé faire sans bouger, elle s’est évaporée comme la brume sur le pré.

Quand ils sont arrivés avec leurs bottes, leurs cris et leurs bâtons, j’ai fait semblant de ne rien voir, de ne rien comprendre. Pourtant, je sais bien qu’ils cherchent à m’épuiser, à me rompre. Un jour, j’ai cru que le cheval abandonné à lui-même sur le bord de la piste avait de l’eau jusqu’aux genoux et buvait puis j’ai compris, ses jambes antérieures étaient brisées. L’animal essayait de se redresser sans succès. Avant de l’abattre, ils ont attendu longtemps non pas parce qu’ils avaient le concernant le moindre espoir. Par cruauté, pour lui donner sa dernière leçon, pour se venger qu’il soit tombé avant la ligne d’arrivée.

Ils étaient deux, l’un s’est approché prêt à me frapper. Je l’ai coincé contre la barrière par un mouvement brutal de tout mon corps et je lui ai envoyé un puissant coup de pied. Le deuxième a cherché à s’interposer mais je lui ai montré les dents comme si soudain je n’étais plus un herbivore et que j’allais le dévorer.

Je ne piétine pas les hommes à terre mais celui qui était là si près de moi était rempli de rage. Je connais trop la rage humaine, il n’y a qu’elle qui puisse vous éperonner jusqu’au sang et vous détruire la bouche en une seule et terrible tentative de vous faire franchir la limite où vous avez placé votre peur et que vous ne pouvez dépasser simplement parce que vous l’ordonne. J’ai donné le coup fatal quand il a voulu se relever et faire usage sur moi de son bâton.

L’enfant pâle qui caressait mes naseaux où est-il? J’avais besoin d’un papillon blanc pour me guider.

Avant la pluie, je suis parti pour ne plus revenir. « Taré, barge, fou furieux, monstre! » Je ne les entends plus crier et me maudire. Plus personne pour me haïr. Mon coeur n’est pas un rocher. Il est une feuille, pas de celles où tu alignes des mots et puis les effaces, pas de celles qu’on froisse dans un poing parce que l’on doute et qu’on nous fait peur. Il est une épine, il est une épeire, il est un grain que soulève ma folie galopante.

L’hôte

Oval open work jade plaque of a parrot standing on a bamboo branch. Qing dynasty

Il est sur mon épaule comme un oiseau nocturne, le murmure contre mon oreille, le regard plongeant de l’univers. Il me parle dans une langue qu’il invente pour que je la comprenne. Il chante.

Il s’envole et disparait, se rapproche. Parfois c’est moi qui pose la tête sur son aile et il devient un cheval à la robe de sable. C’est au travers de ses allures rondes et chaudes que je décrypte le monde. Au galop. Au pas. Au trop. À l’arrêt, il broute les phrases et je l’écoute déglutir, savourer une autre touffe jusqu’à ce que je n’entende plus qu’un coeur battre. Le sang qui voyage est-ce le mien ou le sien? Nos voies se ressemblent et ce n’est pas pour rien.

Pourtant, je parviens à savoir quelle est la mienne. Elle ne choisit bien souvent pas la parole. Elle trébuche sur les syllabes. Elle ne sait jamais s’il est bien nécessaire de les compter.

L’hôte est discret, dispersé. L’hôte triste ne se console pas. N’essayons pas de lui remplir les oreilles avec nos bonheurs faits sur-mesure, aucun ne lui va. L’infection le guette, si on lui dicte la liste complète de nos remèdes à sa solitude. Il serait malade si je ne partageais pas ma part avec lui. Il ne s’apprivoise pas, il m’accompagne comme une ombre, comme un chat, comme un baume. Sa lueur spectrale éclaircit mes énigmes même si toute une partie de la gamme me reste invisible. Ses filtres apportent du relief aux images qui foisonnent et tournent dans ma tête jusqu’au vertige.

L’hôte n’est pas une maladie, n’est pas qu’un spectre, l’hôte existe en tant que petite révolte dans mon souffle, petite parole d’une petite âme, petit pipit des arbres, petite pépite des larmes. L’hôte n’est pas une arme, un spectacle, un crachat. L’hôte n’est pas un épouvantail, un inventaire de maladresses, un dictionnaire de failles. L’hôte est une invite.

Univers

Sur mes rives imaginaires

les éternités pâlissent en formant des vagues

elles se répartissent comme des cartes

les parcelles du temps

En guise de mémoire et de toile

elles nouent et dénouent

les cheveux des astres

Vénus serait venue au monde

de mes paumes sauvages

comme un bourgeon ou un dard

L’espace de vos pensées a effacé

les traces de ma subtile odyssée

cratères d’astéroïdes géants

ou nids de petits pois

perles fossilisées ou nuées de mots

mon univers sera toujours verdoyant

Entendrez-vous encore son chant

comme un galop d’étoiles