Ruisseaux

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Tous les jours, quand le soleil est encore humide, la bergeronnette des ruisseaux picore l’invisible. Frôle les surfaces réfléchissantes de l’eau. Elle mange des étincelles jaunes et blanches, bleues et grises. Elle avance en oscillant son corps prolongé par les plumes incroyablement longues de sa queue. Un gouvernail qu’elle semble avoir du mal à gouverner par grand vent. Elle vole en bondissant d’une phrase à une autre reliant les bribes d’un silence en dessinant des arcs.

Comme il doit être difficile quand on possède au corps aussi fragile de soulever l’impitoyable orchestre symphonique de la vie. Les instruments à cordes ne sont pas forcément les plus agiles, les souffles sont multiples et les poings et les coudes ne répondent la plus part du temps qu’aux lourdes locomotives. La mécanique répète inlassablement ses habitudes, n’a pas l’ampleur pour agir autrement.

La bergeronnette, elle, elle dévie, devine qu’elle n’a pas forcément le choix. Les secondes s’évaporent mais les souvenirs sont toujours de plus en plus forts, de plus en plus épais et lourds. Chacun d’entre eux se démultiplie en pièces inutiles et perdues du puzzle qu’on s’efforce sans espoir d’y réussir à reconstituer.

Si l’on en possédait les morceaux intacts restitués chaque nuit aurait-on encore le besoin impératif d’écrire, d’annoter les bribes complétées d’un titre, préserver en elles un numéro magique, un chiffre mystérieux qui défriche jusqu’à la moindre parcelle embroussaillée des rêves, des histoires mobiles plus habiles à disparaître qu’à nous aider à cueillir une vérité?

« Oh les beaux jours »

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source image: ici

– la nuit le rocher qui porte la journée quand elle veut boire dans la flaque la colombe se transforme en un homme il ne lui reste plus que la moitié supérieure de son corps épaules cou et tête et les bras qui ne lui servent pas son visage est souillé par la mort qui n’est pas encore là mais qui rode par la peur par la méchanceté sournoise dans ses yeux de très longues phrases où les mots ont été remplacés par de petits scorpions noirs l’absurdité de son état ne l’interpelle pas car il croit qu’il est le reflet de l’humanité dans un miroir –


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« Oh les beaux jours » de Samuel Beckett avec Madeleine Renaud et Jean-Louis Barrault: ici

 

Marine

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On dirait du taffetas que l’on froisse mais

ce sont nos deux corps qui se frôlent

on dirait le vent sur la mer qui rôde mais

ce sont nos deux respirations qui s’accordent et composent

on dirait que la plaine se soulève et s’invente des collines mais

ce sont nos envies qui rêvent et progressent

on dirait qu’une vague en balayant les profondeurs marines réveille les tempêtes

s’en va crever le ciel et puis revient gorgée de voiles et de lumière

on dirait soudain que chaque chose acquiert enfin

la certitude d’exister en toute Beauté

mais c’est ton volcan nourricier et sa lave brûlante

qui se répandent.