Puzzle

Dune I Jure Kravanja

La nuit est une pluie de flammes

Toutes cachent sous les rondeurs de leurs pétales

Ton corps contre le mien comme un bouquet

 

La nuit se glisse parfois entre nos paroles

Comme les nuages entre le ciel et la lune

Tes mains accueillent mes larmes

Ma bouche effleure ton âme

 

La nuit porte un masque de sable

Et frémit sans faire d’autre bruit

Que celui qui fait naître les étoiles.

 

Soulèvement

Greg Anka – nonameyet, 2009

Dans le cri d’un oiseau

le ciel bascule

et se met en mouvement

il se met à pleuvoir

de ces questions qui ne me mènent

nulle part

Est-ce une tâche à laquelle il faut

que je réponde

alors que pour échapper à la guillotine

de mes pensées  j’emprunterais

tous les sentiers

je ne peux vivre dans ce scaphandre

dont le cordon ombilical

me lie si insidieusement

aux profondeurs froides

Poulpe

L’encre noire a résorbé toutes les contraintes matérielles qui la maintenaient encore prisonnière de nos pensées. Le noir lourd et fantomatique des nuits de cauchemar s’est évanoui au profit de la nuit nue d’un lac muet.

Une nuit d’ébène s’avance sur la scène, son corps désarticulé se donne en spectacle. La nuit sans étoile, onctueuse et souple, veloutée est apparemment à notre écoute. Dans sa solitude, vaporeuse et volatile, elle consolide notre fuite, masque ou s’offre à tous nos égarements. On croit contenir enfin une essence, cette certitude rare mais nous ne touchons que des ombres sans vouloir vraiment le savoir. À quoi bon ?

C’est dans le noir que notre âme se dénude et se dénoue. Il ne nous reste plus qu’à composer avec ce néant, avec ces devenirs et ces transgressions. Que nous faut-il faire de ce poulpe qui danse dans notre ventre?  Va-t-il encore parler comme un mort et s’installer à notre place ? Se coucher dans notre lit et dormir grinçant entre nos pages ? Il ne nous reste plus qu’à ordonner ce que la clarté nous refuse inlassablement. La nuit entre et insinue peu à peu ce qui fera notre déroute. Elle s’étale, éternité mobile faite de froissements d’ailes et de mouvements de nuages. Elle nous rend le silence et se répand comme un venin : voilà la vanité qui revient.

Ce liquide sombre s’ancre jusqu’à se laisser couler dans nos veines. La nuit nous soude à quelques mots, à quelques balbutiements de phrases. Elle fait tache : on œuvre. Elle se gorge, elle s’échappe, elle s’écoule : on meurt. Elle s’imprègne mais ne crée pas le jour. Nous restons pour toujours, sans savoir, à l’ombre des phrases que nous sommes incapables d’écrire.

Rentre chez toi

Je ne reconnais plus personne. Retenir les détails d’un visage m’est difficile, voire impossible. Il faudrait que je puisse me dire : ce visage est content, ce visage est heureux, ce visage s’amuse et dit vrai. Seulement personne ne dit ce qu’il pense, alors j’oublie. Le trait pour le sourire flotte dans le vide, le sourcil de l’ennui communie avec la bouche qui donne un baiser. Vite fait.

Faire le portrait d’un robot, décrire une plante jusqu’à son moindre détail, je peux. Expliquer la beauté de l’oeil du cheval, je peux. Mais retenir un visage, je ne peux pas. Sauf si, je l’ai vu des milliers de fois. Si je vois un visage mille fois, c’est que je l’aime. Je n’oublie pas ceux que j’aime. Tout de même.

Je marche dans la rue. Je voudrais être un quelconque individu mais l’idée galope dans ma tête. L’idée veut faire le tour de la terre, pour me détourner de moi-même. L’idée ne veut rien entendre. Elle parle sans attendre de réponse. Elle malaxe la syntaxe, elle déboulonne les structures. Elle résonne comme dans les cavernes. Elle est creuse.

Comme j’aimerais parfois ne pas avoir d’idées de cet ordre là.

L’idée galope dans un tambour. Les gens dans la rue ont sorti leurs masques pour déambuler en troupeaux, pour dégouliner comme une lave de boue. Si l’un d’entre eux s’approche de moi, si l’un d’entre eux me touche, je le tue. Je le piétine, je le laboure.

Le vrai visage derrière le masque n’existe pas. Je ne connais personne qui soit ce qu’il dit. Je ne connais personne qui soit un fait simple et concis, pur et parfait, irrévocable. Tenu entre deux limites. La vraie nature se cache et n’appartient qu’aux choses et aux idées. Je marche, mon poing dans la poche. Il pleut. Il pleut mais je m’en fous. Le temps ne compte plus. L’idée épluche les secondes et distribue des miettes à l’éternité. Mon poing semble avoir trouvé le rythme de l’idée. Il est prêt à cogner.

N’ais-je jamais été ce veau qu’on mène où il faut ? Oui, je l’ai été et sans éprouver la moindre gêne. J’ai donné ma confiance, j’ai vendu ma peau comme je donnerais la main à un ami, sans connaître la suspicion. Je ne conçois pas de mensonges communs par complaisance. Sauf lorsque l’idée vient. L’idée ne parle pas à travers moi mais en travers de moi, elle me transgresse. Elle tord chacune de mes phrases, elle broie ma voix.

Je ne peux pas lui parler, je ne peux plus raisonner. L’idée tambourine, exaspère, tourne en vrille. Je puis juste partir, marcher, marcher.

Respirer, déglutir, laisser battre mon cœur ne se font plus naturellement, sans l’idée. L’idée que j’irai jeter d’un pont, noyer dans le fond d’un lac glacé, fracasser sur le prochain mur. Je marche, je vais marcher jusqu’à ce que je rencontre un mur. Un cul de sac, un bloc. Un mur qui me dira : mais qu’est-ce que t’es con, rentre chez toi.