L’encre noire a résorbé toutes les contraintes matérielles qui la maintenaient encore prisonnière de nos pensées. Le noir lourd et fantomatique des nuits de cauchemar s’est évanoui au profit de la nuit nue d’un lac muet.
Une nuit d’ébène s’avance sur la scène, son corps désarticulé se donne en spectacle. La nuit sans étoile, onctueuse et souple, veloutée est apparemment à notre écoute. Dans sa solitude, vaporeuse et volatile, elle consolide notre fuite, masque ou s’offre à tous nos égarements. On croit contenir enfin une essence, cette certitude rare mais nous ne touchons que des ombres sans vouloir vraiment le savoir. À quoi bon ?
C’est dans le noir que notre âme se dénude et se dénoue. Il ne nous reste plus qu’à composer avec ce néant, avec ces devenirs et ces transgressions. Que nous faut-il faire de ce poulpe qui danse dans notre ventre? Va-t-il encore parler comme un mort et s’installer à notre place ? Se coucher dans notre lit et dormir grinçant entre nos pages ? Il ne nous reste plus qu’à ordonner ce que la clarté nous refuse inlassablement. La nuit entre et insinue peu à peu ce qui fera notre déroute. Elle s’étale, éternité mobile faite de froissements d’ailes et de mouvements de nuages. Elle nous rend le silence et se répand comme un venin : voilà la vanité qui revient.
Ce liquide sombre s’ancre jusqu’à se laisser couler dans nos veines. La nuit nous soude à quelques mots, à quelques balbutiements de phrases. Elle fait tache : on œuvre. Elle se gorge, elle s’échappe, elle s’écoule : on meurt. Elle s’imprègne mais ne crée pas le jour. Nous restons pour toujours, sans savoir, à l’ombre des phrases que nous sommes incapables d’écrire.