Rien

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Rien ne bouge

rien, c’est la feuille, le fruit, la branche, le tronc.
rien, c’est le gravillon, le sol, le sable, un coquillage.
rien, c’est la terre, la racine, le rhizome.
rien, c’est le chemin, la route qui mène à la montagne.
rien, c’est le village, les habitations, la gare.
rien, c’est la maison, ses chambres, ses meubles et moi.

Gemme orange

Elle regarde le buisson
de son regard de gemme orange
de petites ombres grignotent
et picorent
l’insouciance
écarlate d’un fruit
les feuilles rondes
le vert plus sombre que la nuit qui tombe
le jour alourdi s’évanouit
une fleur fantôme sort de son fourreau
l’épée fine du parfum
miel et pulpes d’ananas et de mangues
sait-on pourquoi le plumeau de la queue du chat toujours semble avoir été trempé
dans l’encre noire 

Mouvant miroir

青の間
Photo de yukio.s sur flickr
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Pour se regarder en face
le rocher
ne dispose plus que
de ce mouvant miroir
la vague

son coeur aussi lourd que son âme
le force à devenir froid
il fut un temps où imprévisible
il était le foyer volcanique 

il fallait vaguement le consoler
consolider ses idées

pour qu’il soit un rempart
de trois lettres

Questionnante

Jeu de tarot divinatoire dit dit « Grand Etteilla » ou « tarot égyptien » source image: BNF Gallica

Le jardin ressemble à un fouillis joyeusement chaotique. C’est une oeuvre abstraite et étrange qui occupe l’espace et le temps comme le ferait peut-être un ensemble de musiciens face à une partition difficile à lire, presque impossible à déchiffrer car elle s’adresse à l’instrument, à l’objet, à l’individu porteur d’âme et parce que chacun sait que sa voix personnelle et unique n’a de sens, n’a de force, n’a de vie que dans les corrélations qu’elle peut établir avec les autres en un instant donné. 

D’abord, il y a les végétaux qui se mélangent, s’élancent, se ramassent, échangent leurs plus vigoureuses pousses. Les feuillages qui persistent et ceux qui s’envolent et roussissent. Les fleurs et les bractées, les fruits en boutons ou ceux en train de se rouler sur le sol, ceux qui atterrissent et croiseront leurs racines avec celles plus vieilles qui croissent et gagnent déjà les profondeurs paisibles et sombres.  Il y a des senteurs qui voyagent, des conversations entre sèves. Des verts qui se soutiennent, des nuances qui affirment leurs légères différences.

Ensuite apparait la faune. L’olivier frémit, un rouge-gorge est devenu l’un de ses fruits. Une mésange se demande pourquoi cette branche se penche et quelle est cette ombre sous la tuile. Parmi les agapanthes, une famille de rouge-queues picore. Sautille, chante. Dévore une invisible nourriture. Un merle noir laisse croustiller sous ses pas les feuilles sèches de la haie qui protège sa petite promenade. Le corps frétillant de la bergeronnette des ruisseaux vient déposer sa note jaune acide comme l’écorce d’un citron, nette et proportionnée comme l’ hiéroglyphe. Les parfums des pins et des roses s’unissent aux senteurs des daturas et des feuillages qui pourrissent, de la mousse qui nait là où la terre reste humide. La mort déflore la vie d’un geste lent, amoureux, hivernal. Au loin le milan soulève un collier de brumes qui sentent comme l’eucalyptus.

Tout cela ressemble à la musique que jouerait un orchestre dont les instruments seraient laissés en pâture, presque à l’état sauvage, à peine accordés entre eux. Soudain un brin de silence, le chat entre en scène. Noir ébène. Sa démarche comme les notes sombres et claires du piano. 

Rien dans le jardin qui ne corresponde à une partie du jeu central, du jeu fougueux de sa vie, éphémère et réelle, éternellement renouvelée. Rien qui ne soit pas à sa place. Même moi qui partage quelques unes de mes heures avec ce jardin. Je me demande souvent lequel de nous deux à besoin de l’autre sans attendre la réponse. 

La plupart du temps, on ne voit rien, on ne sent rien, on n’entend rien alors on pense qu’il n’y a rien. On prend la liberté d’écraser l’horrible insecte, l’hideuse épeire. Toute une vie se passe dans l’ignorance qu’on accorde à notre certitude d’avoir raison, de savoir, de connaître. Et quand il s’agit de regarder un jardin, de découvrir une oeuvre qui nous déroute, d’entendre un message qui n’est pas celui que l’on espère, on se détourne. On étouffe. On refuse. On attend toujours de l’autre ce qu’il ne peut pas nous donner se foutant éperdument de ce qu’il veut nous donner.  

Spectres

The New Threat (Sea Pollution poster) via Stamatis Kardaris Aberdeen, United Kingdom

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bleus les fils au dessus des collines

le jour empoisonné les nuages immobiles

bleus la mer l’horizon les couronnes

des troncs les plumes du merle et celles

des milles oiseaux engrangés par le vent

bleus les calices les corolles les pétales et les hampes florales

bleu le temps

bleues ses lèvres sa bouche sa langue sa parole

bleues la route les voies et la toute petite étoile

qui signale l’arrivée de la mer des nuées

bleus l’étendue l’espace qui séparent entres elles

les planètes froides les soleils qui se disent être sur le point

de s’éteindre 

bleus les lilas et les lys les ombres portées sur les toiles

bleus les coups mauvais reçus au ventre au visage

bleues ma peur ses soeurs ses cousines et parentes éloignées

bleus le sang caillé le mur qui se construit tout autour de ton coeur

bleues l’empreinte de tes pieds la pointe que tu viens de tremper

bleu l’air qui fait grelotter tes poumons gèle tes doigts étrangle ta voix

bleue la fin qui rampe et s’approche de la grotte où depuis des milliers

d’années tu préserves tes troupeaux tes récoltes de rêves 

bleues les veines du fleuve qui court de ton poignet au col 

bleues les périodes glacières et ses feux de roche ses douleurs qui entaillent les paumes

bleus l’incendie de tes larmes 

l’absence de mots dans ce qu’il te reste de gestes

bleu le silence bleu ton cri bleus les plis la naissance de l’usure les rides

bleus tes iris bleus tes rires ton chant 

bleus tes paupières et les cernes qui soulignent la présence du squelette 

qui habite à jamais ton corps 

Aileron

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The Deep Photo by Maciej Zyglarski (B.D.D)

Au large, on voit les flots se superposer jusqu’à toucher les nuages.
Parfois, une ombre géante s’étire et puis disparait avec l’horizon.
On voit des vaisseaux fantômes qui sont semblables à ces montagnes rocheuses aux sommets enflammés par la neige.
Après avoir caressé les abysses, ton aileron revient à la surface effleurer l’écume, toucher le ciel.
Silencieux, inlassablement seul, tu voyages d’un océan vide à un autre à peu près identique. Rien ne le partage si ce n’est l’inclinaison sauvage des rayons d’un soleil acide. Tous ces pans bleus, verts, gris et noirs font partie de ton territoire.
Un trait énigmatique et imaginaire d’une étoile à une autre pourrait être ce que cherche ton regard. Tu avances, tu reviens sur d’anciennes pistes, tu retrouves de nouvelles traces olfactives. Tu as faim.
La distance entre l’aileron et la pointe de ta queue nous donne une idée approximative de l’envergure de ton appétit. Tu avalerais des rochers, des îles et des bancs entiers si tu n’étais qu’un vulgaire prédateur.
Tu mesures avec précision le moindre de tes gestes. Ta pureté est alliée à la force, à l’efficacité. Le temps, tu ne le gaspilles pas à la menace, à la haine. Tu le manges à pleines dents.

Une chanson traditionnelle

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Robert Budzinski (1874-1955), ’Volkslied’ (Folk Song), “Kunstwart und Kulturwart”, 1919 Source (via issafly)

Le ciel est comme l’envol d’un seul oiseau
la terre un océan de brindilles
à l’horizon un galop de cheval
éparpille les poussières
le cri le crispe
la peur veut prendre le contrôle

une chanson traditionnelle
parle d’une forêt qui mange
et le temps et l’espace qu’elle
accorde à la vie
ta chevelure quand elle s’échappe
devient un nuage
ton œil quand il regarde s’effraye
tout cela habite le cœur
des collines calcinées.

Brutalités

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ART BRUT / collection ABCD :: STOFFERS harald

J’aimerais que mes phrases ne parlent pas
la même langue que moi
qui boite et trébuche à chaque pas
j’aimerais qu’elles soient
autrement que de simples lettres alignées
ces mots dont on a épinglé les ailes
par peur qu’ils dénoncent l’aspect
véritable de nos maigres rêves
j’aimerais que mes phrases ne soient pas les objets
d’une nature morte
qu’un éclat de bougie encore fasse trembler leurs corps
j’aimerais accompagner le silence quand il entre
dans la forêt d’eucalyptus et leur demande d’exalter
l’obscurité

ainsi peut-être serais-je
protégé
des maux


Source image: abcd art brut

Microclimat

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Bertrand Els

 

Au dessus de moi l’énorme masse nuageuse d’un mot
d’une phrase comme une montagne
si dense ……si noire si rugueuse qu’elle pourrait porter le nom

de l’absence
ignorance sombre et venimeuse oubli vertigineux
suspicion qui invente des vérités à gober
sans s’étonner
je suis sur le point de céder sachant même si je l’espère que rien

rien

ne peut me soulager de l’oppression
de la peine
de l’étouffement
de la noyade
qui s’enchâssent
rien
et pourtant alors que je ferme les yeux
je sens un puissant courant mener sa propre route
un halo nait dans un nœud
un reflet prend feu sans consumer sans rien rendre en cendre
Au dessus de moi énorme ma volonté

plus volatile que  plumes et  neiges
plus liquide que l’air plus fluide que la pluie

s’empourpre
au dessus de moi une colère encore prisonnière
sur le point de se laisser dompter

devient soudain le cri sourd d’un astre dans son

univers

Solstice

 

SEA LILY FOSSIL
SEA LILY FOSSIL

Une étoile presque morte
respire encore
au sein des mots
je crois reconnaître ta voix
embrasser sa pulsation
mais ce que je vois
c’est le soleil en personne
le soleil et son étrange ombelle
qui ressemble à celle du lis de mer
ses pistils ont été saupoudrés de lumière