Fraîche et argentée

Hiroshige – Untitled c.1851

La nuit est venue se poser sur le jardin
La lune regarde la mer
Une à une les étoiles se regroupent au dessus de la folle falaise qui parle toute seule quand les oiseaux se taisent.
Quel étrange troupeau scintille enivré par les parfums émanant du maquis
Pour qui est-ce encore l’été
Quel est cette ombre marchant d’un pas souple et lent sur le sentier qui semble couler de la lune comme un torrent de la colline
Est-ce toi mon Amour qui portes la lumière de l’astre toute fraîche et argentée sur les épaules?

Trachelospermum jasminoides

trachelospermum jasminoides

Les nervures naviguent sur de discrètes étendues de soie.

 

Chaque feuille est en voyage unique, sobre, doux, élégant.

 

Les verts ruissellent du ciel à la terre.

 

Les milliers d’hélices à cinq pétales blancs vrombissent

 

et répandent des parfums qui éblouissent.

 

La lumière mélangée au vent se fait l’écho des vagues

 

en brassant les frondaisons des pins d’Alep voisins.

 

Le jour, le végétal déploie un feu d’étoiles.

 

La nuit, il est celui qui parle à la lune.

 

 

Par vague

Graham Muir, Artist, Carter Wave 2 #ArtonTap
Graham Muir, Artist, Carter Wave 2 #ArtonTap

Sur la mer les nuages bâtissent des chaines

de montagnes aux sommets enneigés

le soleil tombe dans le nid des vallées

et creuse des lacs aux lueurs bleutées

étendues fugaces où les ombres marchent

en frissonnant comme les vagues

 

Sur le ciel comme sur le pelage d’un léopard

des taches évoquent les paysages où les

buissons cachent l’épine et le fruit solitaire de la nuit

sombre jusqu’aux profondeurs noires d’un puits

 

Sur la paume de tes mains tendues

est né tendrement un croissant de sable blanc

dont le nombril argenté est le centre grandissant

d’une galaxie d’éclats violacés et dorés

 

 

 

 

 

 

Hybrides

 

Paul Rockett: Glenn Gould’s Hands, 1956
Paul Rockett: Glenn Gould’s Hands, 1956

Ses mains sont semblables aux nuages qui accueillent le soleil quand il se pose sur la mer et se gorge de roses et d’oranges.

Ses mains invitent souvent les souvenirs et les saveurs à former des jardins.

Mon esprit soudain comprend comment et pourquoi les iris obtiennent ces dégradés impossibles de jaunes et de blancs ayant la texture du sucre et le goût soyeux de la crème.

Ses mains d’un geste vif et précis racontent toute l’efficacité des pensées qu’elle cultive avec ferveur et passion depuis toujours. Ses mains me proposent quand elles se posent sur mon sein de découvrir ma liberté, petite libellule, elle épouse le bleu et le vert dans un vol presque statique.

Dans le creux de ses paumes se blottissent deux petits cœurs hybrides, mûres ou framboises, ils n’ont pu se décider que d’être les deux à la fois. Qui oserait les manger ? Alors qu’ils semblent simplement vouloir n’aimer que l’âme.

Les fleurs folles qui les ont enfantés ont vu la mer et ses petites colères se colorer de turquoise.

Les étranges petits rubis scintillent éparpillées amoureusement dans les velours du jour.

Pour protéger la beauté farouche, pour qu’elle se choisisse plein de chemins qui ne porteront jamais de nom ni de définitions, ses mains comme le jasmin parfument mes palais.

L’arbre

Igor Morski
Igor Morski

L’arbre habitait tout un jardin à lui tout seul. Sa ramure mangeait les nuages au printemps, son tronc noir brillait en hiver comme le galop d’un cheval. À l’automne, il prenait feu. En été, plus fort que jamais il fabriquait des fruits, offrait de l’ombre, faisait chanter la chaleur, affolait la lumière. L’arbre était jalousement protégé de tous les regards des passants, par un mur, un portail éternellement fermé.

Tous les jours, pour me rendre à l’école, je longeais le mur. Mais un jour, je ne pus m’empêcher de regarder par une toute petite fente ce qu’on prenait tellement de soin à cacher. J’avais vu les branches fleuries s’échapper vers le ciel, j’avais entendu les chansons incompréhensibles d’un homme. Je vis donc l’arbre se faire caresser le tronc et frémir sous la main ridée mais large et ferme d’un vieil homme maigre. Il murmurait et lorsqu’il s’est retourné comme s’il avait deviné mon audace, son regard noir se planta dans mon âme trop curieuse comme un canif. Je pris peur et pendant des années, je me contentais de rêver à l’arbre magique, à l’amitié qui le liait à un homme.

L’arbre vivait dans un palais verdoyant serti de rubis. De l’arbre sortaient des centaines d’aventures, des fruits au goût de fleur, des feuilles d’un vert velouté capable d’apprivoiser le noir et les nuits de cauchemars. Sa sève, une encre sacrée écrivait une vie paisible à l’homme qui l’aimait comme une femme. Il m’arrivait de rester des heures à faire le guet et à espérer que le portail s’ouvre, que l’homme sorte et vienne me parler de l’arbre et de l’amour. Mais l’improbable ne se produisit jamais et il fut un jour où je changeai d’école et pris un autre chemin. Pourtant, tous mes dessins d’enfant représentaient d’une manière ou d’une autre l’arbre, cet arbre, ce seul arbre magique. Quand j’étais triste, je le représentais plein de nervures, son cœur nu, ses branches dessinant de longs bras se terminant par des feuilles comme des mains. Quand j’étais joyeux, l’arbre se laissait dessiner sous les apparences aventureuses d’un voilier pris par la pleine mer.

Un jour, devenu adulte et ayant presque oublié l’arbre, j’empruntai par hasard ce chemin qui ne menait pas qu’à mon école mais se poursuivait jusqu’à un hôpital où justement ma sœur venait de donner naissance à une fille. Les branches de l’arbre plongeaient toujours dans le ciel comme une famille de dauphins joueurs. À le voir même de loin, on pensait que le printemps était semblable à une nébuleuse de fleurs. La force de l’arbre diffusait un parfum qui embaumait la rue. Devant le portail entrouvert, le phare giratoire d’une ambulance tentait de rivaliser avec la lumière que l’arbre faisait naître dans la rue. Quelques curieux s’attroupaient près du portail. Une vieille dame, le visage défait s’avança vers moi, elle m’avait reconnu : « Il est mort, l’élagueur est mort. » Je vis le corps  recouvert d’une couverture au pied de l’arbre et je vis le vieil homme, le regard perdu et visiblement très affecté. L’arbre était devenu un meurtrier.

Je poursuivis ma route, avec l’idée qu’il me faut toujours inventer des histoires plus belles que la réalité. L’arbre n’était qu’un arbre ordinaire et le vieil homme n’en était probablement pas amoureux, n’était que quelqu’un que la solitude et l’isolement social avaient rendu méfiant.

Dans l’ascenseur de l’hôpital, je pleurais presque.

Ma sœur n’était pas dans sa chambre mais comme me l’apprit l’infirmière, elle était allée voir son bébé qui devait demeurer aux soins intensifs. Pendant l’accouchement, le cœur du bébé s’était arrêté de battre. Les médecins étaient parvenus par chance à  réanimer le nourrisson mais il devait encore rester sous surveillance.

La vie tient donc à un tout petit fil transparent ? Je pouvais rejoindre ma sœur et je la vis au travers d’une vitre. À côté de la couveuse, elle allaitait son minuscule et si fragile bébé et j’eus le sentiment qu’un petit miracle s’était produit.

Caravelle

« Clearing » by Holly Grace (Sand Carved)

Quand je contemple mon existence, dans chacun de ses épisodes,

il me semble ne plus apercevoir que les structures produites par mon esprit en se servant d’un langage.

Il ne reste parfois que des squelettes dénudés de réalité. Ils se rassemblent pour former des essaims,

l’insecte est une phrase qui tremble sur son socle. Ils coagulent en dessinant des paysages où la lumière serait produite par le vide

entre les feuillages et par tout ce qui ne se dit pas dans les phrases.

Les structures imaginées se dressent comme des temples de dentelles, des forêts sacralisées ou des tombes muettes.

Elles tissent l’espace avec le fil perdu d’une histoire.

Les voiles d’une étrange et fugitive caravelle s’enflent ou s’enfoncent dans les profondeurs suaves du silence.

Un océan semble meubler la langue de fluctuations et débordements, les mots n’en seraient que l’écume ou les arêtes que laissent les vagues sur les plages ayant mis bas l’une ou l’autre marée sauvage.

Le langage est une échelle, une plante grimpante hallucinée. Où trouvera-t-elle la place pour nidifier d’une façon stable?

J’aimerais qu’on puisse boire à toutes les phrases en ne se servant que de son âme et révéler

au passant comment et pourquoi des ombres froides collent aux mots quand ils sont bercés par les traces et les images du passé.

Je voudrais qu’on puisse éprouver cette fraîcheur incomparable qui désigne à tout ce qui vit que quelque part on meurt aussi.

J’aimerais qu’on puisse voir leurs écarts se frayer une route parmi les dogmes inculqués par la peur. Il me faudrait toujours garder comme un bouquet de fleurs, juste en dessous du cœur, le doute et ses faibles clameurs.

Les mots ne vivent pas pour qu’on les broute, ne marchent pas en cohortes domestiquées, qu’en impitoyable jardinier au profit d’une seule et unique vérité, on charcute .