que les pins
se disputent
une carpe koï
s’efforce de ne pas disparaître
sa fragilité écorce d’un nuage
est la condition nécessaire
à l’émergence d’une complexité
la vie
Les goélands échangent leurs plumes
pour de l’écume
au loin les vagues s’en servent
pour réécrire les brumes
naissent des collines bleues
des nuages aux allures de combe
capables de s’envoler
Parfois un instrument à cordes imprime à l’étang un fluide mouvement. Un trait s’éternise jusqu’ à la cime des choses. La lenteur émerge peu à peu comme cris à peine sortis du nid. L’eau en surface se défait des plis inscrits par la nuit et moi je vois le soleil encercler l’endroit où mes feuilles ovales s’étalent.
Je devrais à l’instant choisi cibler un point du ciel où me suspendre ailes ouvertes. Quelle est cette ombre géante amalgamée à ton immonde haine ? Crois-tu que le mensonge dont ton poing crispé me menace est à même d’empêcher ma floraison ?
C’est aux nuages brassés par la lumière que je dois la couleur de mon bourgeon, c’est à la lance qu’il doit son élan pointu, c’est à l’eau sombre que je voue mon irisation.
Son corps n’est plus
qu’une trace
son être est dans la mort
dans ce qu’elle suppose
de silence de menace de souffrance et d’oubli
niée aux néants humains du vivable
ton âme s’installe dans toutes les âmes
dans les rêves et leurs revers
dans les actes et
dans ce qui ne sera jamais partie du quotidien
Dans la baie de mon bras, la nuit est un chat. Pas encore noire, elle luit, bleuit, éclate, effleure, ronronne. La fourrure féline montre les formes sombres des rayures ou les déclinaisons magiques de taches presque rondes comme les astres. La nuit a des griffes rétractiles et une langue rose. Quand elle marche, elle ne fait pas le moindre bruit et parfois elle ose montrer l’endroit de son ventre où elle est blanche. La nuit apprivoise la patience en la reconnaissant du bout de la moustache tendue vers l’espace comme le pistil d’une fleur odorante.
La nuit morceau souple et soyeux de l’infini me regarde et me file un coup de patte si jamais je me penche plein de larmes vers son épaule. Son regard est celui de qui se nourrit de comètes et des miettes que laissent les étoiles derrière elles quand on croit qu’elles s’attrapent comme des souris.
Sur ta chaise, une cigale silencieuse se moque de moi. J’ai peur que ses sœurs tziganes s’asseyent en faisant grincer les pieds des chaises comme quelques vieux instruments de musique désaccordés.
Le soleil s’étale sous les acacias à la manière d’un fauve qui attend que la chaleur lui fasse un peu de place pour la chasse. L’orchestre caché dans les feuillages et qui serait prêt à faire chavirer l’été ne fera pas le poids si tu n’es plus là pour le guider.
Sur ta chaise l’insecte se délecte de mes craintes. J’agrippe aussi fort que je le peux quelques bourgeons gorgés de suc. Au creux de ma main, la poudre d’or ressemble à celle que l’on trouve sur les paupières quand le sommeil appareille son grand voilier pour le ciel.
Un fantôme se tient debout près de la table, ses mains épousent les mêmes teintes rosées que les tiennes. Je ne comprends pas pourquoi, il tient tellement à imiter ta voix.
La cigale assise à ta place a gommé les moments inutiles de la vie dans lesquels tu ne figures pas. Les mimosas grimpent dans le ciel par grappes odorantes, de petits fleurs jaunes et rieuses se prennent pour des étoiles. Ce sont elles qui attellent la Méditerranée bleue à la nue, au soleil.
Les martinets peuplent le ciel
mais quelle est celle qui accroche aux arbres
comme des fruits des chansons
qui rendent ivre l’espace
La partie la plus importante de ma vie, je la consacre à la rêverie, errance par delà le voyage aussi infime qu’il soit. Nourriture brute, je n’en cherche que la source, que l’endroit d’où ce qui n’est pas encore devenu agglutinement de phrases part en gerbes enivrantes.
Le rêve me revient avec constance comme s’il était la respiration même de l’univers, son océan, sa mer. L’animal sauvage, le fauve ne trouve en moi qu’une cage. Prisonnier, il devient sourd, ne se nourrit que de révoltes. Seul le silence l’apprivoise un instant et puis tout le reste le détériore.
Libéré, il laisse derrière lui une ombre qui s’inscrit telle une coulée d’encre noire sur un papier humide, un débordement de sève végétale sur un tronc à jamais entaillé, une blessure permanente, une luxuriance.
L’écriture, forêt, de feuilles en feuilles le ronge. La lumière l’érode, le ciel et l’illusion d’en écrire le plan, de terminer les voyages se transforment en acide. Mon questionnement agit comme un agile charognard.
Ah ! La seconde où je croise, cette comète hallucinée !L’insouciante vague d’éclats disparates qui n’ont encore trouvé le sens barbare que je leur donne comme un coup de poing dans le ventre ! Cela définitivement n’appartient pas à la conscience, ne se plie pas à ma volonté. La partie la plus importante de ma vie navigue sans voile, sans carte, sans espoir.
En plein soleil à la lisière d’une rivière
sous une confusion de brindilles en train de pourrir
des œufs lisses d’une blancheur presque parfaite
se font escalader par des fourmis
dont les minuscules morsures ressemblent
à celle du feu
mais toi passant non loin de là sur le sentier
si tu marques un temps de pause à ta promenade
et regardes en direction du nid
deux yeux dont l’or est fendu de noir
te regardent comme s’ils ne reflétaient
aucune âme
un grondement comme ceux qui surgissent
du fond d’un volcan
atteint ce cœur qui dans ton ventre soudain
bouillonne
tu crois faire face à l’une des images les plus terrifiantes
de ce que tu es au fond de toi-même
l’impitoyable monstre qui se rit de tous les enfers
qu’il inflige aux autres
mais non ces griffes puissantes,
cette gueule qui crache le feu
cet animal
apportera à la rivière avec la délicatesse
d’un pianiste portant les notes au bout des doigts
un à un
tous les scintillants et petits
alligators