Animal

52add4473b98c7702a7a34239e492c39_large

En plein soleil à la lisière d’une rivière

sous une confusion de brindilles en train de pourrir

des œufs lisses d’une blancheur presque parfaite

se font escalader par des fourmis

dont les minuscules morsures ressemblent

à celle du feu

mais toi passant non loin de là sur le sentier

si tu marques un temps de pause à ta promenade

et regardes en direction du nid

deux yeux dont l’or est fendu de noir

te regardent comme s’ils ne reflétaient

aucune âme

un grondement comme ceux qui surgissent

du fond d’un volcan

atteint ce cœur qui dans ton ventre soudain

bouillonne

tu crois faire face à l’une des images les plus terrifiantes

de ce que tu es au fond de toi-même

l’impitoyable monstre qui se rit de tous les enfers

qu’il inflige aux autres

mais non ces griffes puissantes,

cette gueule qui crache le feu

cet animal

apportera à la rivière avec la délicatesse

d’un pianiste portant les notes au bout des doigts

un à un

tous les scintillants et petits

alligators

 

2 réflexions sur “Animal

  1. Il faut le faire : un semis d’alligators jeté délicatement comme du bout des doigts d’un pianiste. La poétesse excelle ici dans le contraste des touches noires et blanches. Un sommet dans l’art de l’oxymore, de la Coincidentia oppositorum, comme « l’explosante fixe » d’André Breton.

    Le monstre noue les tripes de je ne sais qui, un personnage conceptuel, hypostasié, qui s’y reconnait et le craint à la fois (les monstres sont presque toujours – dans la fiction du moins – une projection du plus profond de soi, le monstre Id de Planète Interdite, le ça).

    Mais l’être qui redoute le croco en lequel il se mire accouche de répliques miniatures qui revêtent l’aspect charmant de la procréation. La boule de feu qui ronge l’homme au départ se transforme en douleurs de l’enfantement, et comme par un principe analogue à celui de la division cellulaire, le voici transformé en une pluie de notes de partition musicale pour alligators. Très fort. Le texte est parfait.

    Et ces « deux yeux dont l’or est fendu de noir » préfigurent curieusement cette division qui préside à l’autoréplication du singulier dans le multiple. Double préfiguration de la surprise étincelante des petits alligators, puisque non seulement l’œil du croco est séparé de son reflet (pas d’effet miroir sans division) mais son or est fendu de noir.

    Bravo !

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.